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AGRIPPA.

futation est infiniment plus solide que celle dont s’est servi un théologien d’Utrecht, en alléguant la profession de théologie à laquelle Agrippa fut élevé à Dôle et à Pavie, et l’emploi qu’il eut auprès du cardinal de Sainte Croix, pour le concile de Pise[1]. Cela ne prouve rien du tout, parce que tous ces honneurs d’Agrippa précédèrent la première prédication de Luther contre le pape. Si l’on me demande pourquoi Agrippa parle plus durement de Luther dans son livre de la Vanité des Sciences que dans ses Lettres, je ne répondrai point que c’est un ouvrage où il se proposait de critiquer tout le monde : j’aime mieux me servir d’une autre raison. Quand il composa ce Traité, il était apparemment revenu de l’espérance qu’il avait d’abord conçue de Luther. Je crois qu’aussi-bien qu’Érasme, il avait regardé au commencement ce réformateur comme un héros qui ferait cesser la tyrannie que les moines mendians et le reste du clergé exerçaient sur l’esprit et sur la conscience. Ignorans et voluptueux, ils fomentaient mille basses superstitions, et ne pouvaient souffrir qu’on étudiât les belles-lettres : ils ne voulaient ni sortir de la barbarie, ni souffrir que les autres en sortissent ; de sorte qu’il suffisait d’être bel-esprit, savant, poli, pour être l’objet de leurs violentes déclamations. Agrippa, Érasme, et quelques autres grands génies, furent ravis que Luther eût rompu la glace ; ils en attendirent une crise qui délivrerait de l’oppression les honnêtes gens ; mais quand ils virent que les choses ne prenaient pas le train qu’ils auraient voulu, ils furent les premiers à jeter la pierre contre Luther. Disons pourtant qu’Agrippa fut sujet à diverses alternatives. Il protestait à Erasme, en lui envoyant sa déclamation sur la Vanité des Sciences, qu’il n’avait point d’autres sentimens que ceux de l’Église catholique : Illud te admonitum volo, me de his quæ ad religionem attinent nequaquàm secùs sentire quàm sentit Ecclesia catholica [2]. Il souhaitait en dédiant l’apologie de cette Déclamation au légat du pape, que Dieu purgeât son Église de l’impiété des hérétiques[3] ; et peu après il écrivit à Melanchthon le plus honnêtement du monde[4] : il le pria de saluer de sa part invincible hérétique Martin Luther : Salutabis mihi invictum illum hæreticum Martinum Lutheram, qui, ut in Actibus ait Paulus, servit Deo secundùm sectam quan hæresim vocant ; et lui témoigna souhaiter de sortir de Babylone : Utinam hic Nabuchodonosor (il parle de Charles-Quint) aliquandò ex bestiâ rediret in hominem, aut ego relinquere possem istud Ur Chaldæorum[5] ? Un temps a été qu’on lui recommandait les frères[6] : ainsi, ce qu’on vient de voir qu’il écrivit à Mélanchthon, était un retour de certains premiers mouvemens que ses disgrâces et les injustes procédures des théologiens catholiques lui inspiraient. En tout cas, il est bien certain qu’il a vécu et qu’il est mort dans la communion romaine. Nous toucherons quelques-unes de ses opinions dans la remarque (T).

(O) Je ne crois pas qu’il ait écrit pour le divorce de Henri VIII. ] J’ai lu dans l’ouvrage d’un fort habile homme, que Crammer ayant fait « un voyage en Allemagne, où il acquit la connaissance du célèbre Cornélius Agrippa, l’entretint de l’affaire du divorce, et lui en représenta si bien la nécessité, que ce grand homme défendant avec chaleur les poursuites de Henri, fut fort mal traité par l’empereur, et mourut enfin en prison[7]. » Celui qui a critiqué cet ouvrage a repondu entre autres choses : 1o. que R. Wakfeld, qui écrivait en ce temps-là pour Henri VIII, a dit positivement qu’il répond au livre de l’évêque de Rochester, et à un autre qu’on croit être de Vivès ou d’Agrippa ; 2o. qu’Agrippa est mort en France, et nullement prisonnier en Allemagne[8]. J’ai trouvé

  1. Voetii Disputat. Theologic., part. III, pag. 616.
  2. Agrippa, Epist. XXXVI libri VI, p. 999.
  3. Epist. XII libri VII, pag. 1013.
  4. Voyez la lettre XIII du VIIe. livre, pag. 1013. Il paraît assez favorable à la nouvelle Religion dans les lettres XVIII et LII du IIIe. livre.
  5. Epist. XII libri VII, pag. 1013.
  6. Epist XVI et XXXIV libri III. Vide etiam Epist. XV ejusdem libri.
  7. Histoire de la Réformation d’Angleterre, par le docteur Burnet (à présent évêque de Salisbury), à l’an. 1530, liv. II, pag. 230, édition d’Amsterd.
  8. Le Grand, Histoire du Divorce de Hen-