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ALBERT.

æstatem vertit, ut scribit Trithemius in Chron. Spanh. anno 1254[1]. Trithème le rapporte en effet. On ajoute à cela la tête parlante, le livre de Mirabilibus, et celui de Secretis Mulierum. Le père Théophile ne s’amuse point à opposer à ces sortes d’accusations les éloges que plusieurs historiens donnent à la vertu de l’accusé. Il recourt au témoignage que Dieu lui-même a rendu à la sainteté d’Albert par diverses opérations miraculeuses, en préservant de toute corruption son cadavre, jusques à aujourd’hui : Testimonium quod ejus sanctitati Deus perhibuit, patratis in ejus gratiam miris plerisque operibus, et ipsius Alberti corpore ad hunc usque diem à tabe et putrefactione exempto. Cet apologiste ajoute que la métamorphose de l’hiver en été, et la tête parlante, sont deux grands mensonges, et que les deux livres en question ont été faussement attribués à Albert-le-Grand, et que saint Thomas n’avoue point[* 1] qu’il ait autrefois brisé chez son maître cette tête parlante : Hyems in veris amænitatem versa, et caput æneum articulatè loquens, ad Deum Fabulinum sunt ableganda tanquàm conficta et falsò jactata de tanto viro... Libri autem Magici qui Alberto affingebantur sunt supposititii[2]. Voyez ce que ce jésuite rapporte de quelques machines qui rendent des sons très-harmonieux. Il veut bien qu’Albert ait eu une tête si artistement composée, que l’air que l’on y soufflait y ait pu prendre les modifications requises pour former la voix humaine. Quant à l’exemption de pouriture, voici ce que j’en ai lu dans Thevet : « Nostre Albert, après avoir vécu 87 ans, mourut l’an de notre salut 1280, à Cologne, où il s’estoit retiré pour estudier ; et là, au milieu du chœur du couvent des jacobins, son corps est enterré, et ses entrailles furent portées à Ratisbonne, lequel, du temps de l’empereur Charles le-Quint, estoit encore entier, et fut déterré par son commandement, et après remis en son premier monument.[3] » Le jésuite Radérus a fait quelques vers latins sur l’incorruption de ce corps [4]. Ils finissent ainsi :

Illius[5] doctas mirentur sæcula chartas,
Miror ego salvas post tria sœcla manus.

M. Moréri, au lieu de trois cents ans, n’en met que deux cents. Ce n’est, ni sa coutume, ni son génie, d’amoindrir les choses de cette nature.

(H) Ceux qui lui attribuent l’invention de l’artillerie se trompent. ] « Jean-Matthieu de Luna[* 2], qui vivoit il y a plus de six-vingts ans [6], soustient, contre l’opinion toutesfois de Polydore, Magius, Mayer, Pancirole, Flurenco Rivault, Bezoldus, et tous les autheurs qui ont escrit de l’invention des bastons à feu, que ce fut Albert-le-Grand qui trouva le premier l’usage du gros canon, de l’arquebuse et du pistolet[7] ; sans néanmoins que j’aye remarqué dans tous ces autheurs aucune chose qui peust approcher de cette opinion, sinon que telles machines furent mises en pratique de son temps, et par un moine allemand, qu’ils nomment Berthold Schuuartz, ou par un chimiste, lequel, au jugement de Cornazanus, auteur assez ancien, demeuroit en la ville de Cologne, en laquelle il est certain qu’Albert-le-Grand demeura tousjours depuis qu’il eut pris l’habit de jacobin. » Voilà comment Naudé réfute son Jean Matthieu de Luna. La dernière chose qu’il affirme est fausse ; car ceux qui ont fait l’histoire d’Albert-le-Grand disent qu’il entra dans l’ordre de saint Dominique l’an 1222[* 3] ;

  1. (*) III Contra Gent., cap. CIV.
  2. (*) Libro de Rerum Inventorib., cap. XII, folio 10.
  3. * Voici, dit Leclerc, comme il faut arranger le tout, suivant le père Echard, qui et exact. « Albert prit l’habit en Italie à la fin de 1222, ou en 1223. Après avoir demeuré dans son couvent pendant un an, il fut envoyé pour étudier à Padoue ou à Boulogne. De là il passa en Allemagne, et y fut préfet des études, à Hildesheim, et plus successivement à Fribourg en Brisgaw, à Ratisbonne et à Strasbourg. Ensuite on l’envoya à Cologne
  1. Theophil. Raynaudi Hophloth., sect. II, serm. I, cap. XIV, pag. 149.
  2. Th. Raynaudi Hophloth., pag. 150.
  3. Thevet, Histoire des Hommes illustres, tom. II, pag. 87.
  4. Bullart les rapporte, Académie des Scienc., tom. II, pag. 149.
  5. C’est-à-dire, d’Aristote.
  6. C’est Naudé qui parle, pag. 518 de l’Apologie des grands Hommes, imprimée à Paris, l’an 1625, in-8°.
  7. Moréri, au lieu de cela, ne parle que de la poudre à canon, de quoi Naudé ne dit rien.