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ALCIAT.

joint à l’avarice est ordinairement cause du défaut que l’on blâmait dans Alciat : je veux dire de cette passion de faire bientôt tout le tour des académies, de laquelle j’ai déjà parlé en un autre endroit[1]. C’est assûrément mettre son érudition à l’encan, et faire savoir au public qu’on ne se livrera qu’au plus offrant et dernier enchérisseur.

(H) Il ne voulut point renoncer à la profession en droit. ] Il s’en félicite dans une lettre qu’il écrivit à Paul Jove, que le pape Paul III avait longtemps amusé par des promesses trompeuses. Je suis bien aise, dit-il, de ne m’être pas laissé tromper par ce pontife, qui, sous ta promesse d’une grande récompense, m’a voulu attirer à Rome. Là-dessus, il étale les biens solides de sa profession, et les oppose aux espérances imaginaires du cardinalat : Mihi gratulor, quòd ab eo (inveterati astûs sene principe) me decipi non sim passus, quùm me, uti scis, magnis propositis præmiis Ticino, Ferrariâ, atque Bononiâ, in Urbem accerseret. Tum enim ex jure meo magis cautus fui, quàm tu ex sapientiæ præceptis prudens philosophus. Cur enim pro inani aut incertâ spe purpuræ, hos tantos primi suggestûs honores relinquerem, opimis præsertìm firmatos stipendiis ? Cur has tantas contemnerem circumfusæ juventutis salutationes ? et hanc deniquè tot consultoribus januam pulsantibus, existimationem magno lucro, et non obscurâ cum laude quæsitam, ineptè stultèque desererem [2] ? Notez, en passant, que ceci réfute ceux qui disent qu’il refusa le chapeau de cardinal que le pape lui offrait[3]. Ce conte est le fruit de l’hyperbole, la figure favorite d’une infinité de gens. On aurait dit tout ce qu’il y a de vrai dans cette affaire, si l’on s’était contenté de dire que le pape, pour mieux attirer à Rome André Alciat, lui fit entendre que ce serait le moyen de se frayer le chemin du sacré collége. Un tel discours est bien éloigné de l’offre d’un chapeau de cardinal.

(I) Il était non-seulement fort avare, mais aussi un grand mangeur. ] Panzirole s’exprime ainsi : Avarior habitus est, et cibi avidior. Il ajoute qu’Alciat, ayant reçu trois cents écus pour une consulte, et su qu’on en avait donné davantage à Marianus Socin pour la même affaire, s’écria qu’on avait trouvé un meilleur marchand, mais non pas un meilleur jurisconsulte. Prenez ceci en passant pour une confirmation de ce qui a été cité de Pasquier[4]. Nous allons apprendre d’autres nouvelles de l’avarice d’Alciat : « De deux points est-il taxé. L’un, que sa méthode ressentoit je ne sçai quelle ostentation doctorale.... L’autre, que l’avarice lui commandoit tellement, qu’il sembloit que sa langue, plume et doctrine, fussent à gage des seigneurs qui plus lui donnoient d’escus. Et mesme je me souviens qu’aux Parerges, parlant de Jason, il vueille prescher pour l’argent, le prisant de ce qu’à lui ont esté augmentez les gages des docteurs. D’où Alciat bien sceu faire son profit, ayant tiré de l’université de Bourges douze cens escus d’estat, outre ses licences et doctorats, qu’il faisait bien tripler, suivant la trace du docteur Jason, lequel fut le premier qui, pour les degrez et honneurs qu’il donnoit aux jurisconsultes, prenoit cinquante et cent escus, au lieu qu’auparavant lui on avoit accoustumé de passer pour trois ou quatre escus. A cause de ce (dit-il) que lui, Décius, Ruine, et les autres docteurs peuvent s’enrichir de ces gratieusetez, que paient les écoliers sans estre sujets à repréhension. De là il n’est pas mal-aisé de recueillir qu’il se fait fort de Jason contre ceux qui se formalisoient à l’encontre de lui, de ce qu’il estoit tellement tenant à l’argent, que, pour recevoir de lui la dignité de docteur, bachelier ou licentié, il falloit qu’on desgaignast à foison des escus. Ce qui me fait persister davantage en cette opinion est qu’au dernier chapitre du cinquième livre de ses Parerges, reprenant son propos de Ja-

  1. Dans la remarque (A) de l’article de (François) Accarisi.
  2. Alciat. Epistol. ad Paulum Jovium. Elle est à la tête du Ier. volume des Histoires de Paul Jove, et datée de Pavie, le 7 d’octobre 1549.
  3. Teissier, Élog. tom. II, pag. 394, édition de 1683 ; et tom. I, pag. 34, édit. de 1696.
  4. Au commencement de la remarque (G), après la citation (32).