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AARSENS.

son père et cet ambassadeur hollandais furent toujours[1] ennemis ; (qu’il y avait une incompatibilité insurmontable entre leurs naturels, et que la grande aversion qui s’était élevée entre eux s’augmentait de jour en jour au lieu de diminuer. Il nous apprend même que son père harangua, le 16 novembre 1613, devant les états généraux contre François Aarsens[2], et lui reprocha d’avoir osé parler irrévéremment de leurs majestés et de messieurs de leur conseil, qui étaient les plus fermes soutiens de la liberté des provinces confédérées, et l’accusa d’audace, de légèreté en ses langages ordinaires, et d’ingratitude, payant d’insolence tant de bienfaits dont la France l’aidait comblé. Nous voilà suffisamment munis d’antidote. Qui ne sait qu’il faut bien rabattre de la signification des termes quand un ennemi parle de son ennemi ?

(B) Son père… était dans un poste… à donner de l’emploi à son fils. ] Il s’appelait[3] Corneille Aarsens, et était greffier des états : il avait connu M. du Plessis-Mornai auprès de Guillaume, prince d’Orange, et il le pria de prendre son fils à sa suite. Cela fut fait et dura quelques années. Ce fils, entendant la langue française et les affaires du royaume, succéda, l’an 1598, à Levin Caluard, qui était mort résident auprès du roi Henri IV pour les Provinces-Unies, et ne fut que résident des états jusqu’en 1609. Mais comme on conclut alors une trêve de douze ans, dans laquelle l’Espagne avait traité avec les Provinces-Unies comme avec des peuples libres, il fut reconnu par Henri IV pour ambassadeur[4]. Pendant son séjour en France, qui fut de quinze ans, il reçut de grands bienfaits du roi, et même des honneurs ; car il fut anobli et fait chevalier et baron, ce qui fut cause qu’ensuite il fut reçu en Hollande entre les nobles de la province. Il devint ensuite si odieux à cette cour, qu’elle souhaita qu’on le rappelât, à ce que dit M. du Maurier. Voyez ci-dessous la remarque (D).

(C) Auprès de cette république. ] C’est à ce temps-là qu’il faut appliquer ce que le cardinal Pallavicin a reproché au père Paul. Il[5] dit qu’il a une lettre du sieur de Zuilichem, secrétaire du prince d’Orange, où il raconte que, s’étant rencontré à Venise dans une entrevue fortuite du sieur de Sommerdyck, ambassadeur de Hollande, et de Fra Paolo, ce père avait dit à ce ministre, qu’il ressentait une extrême joie de voir le représentant d’une république qui tenait le pape pour le vrai Antechrist. L’auteur du livre intitulé, Cancellaria secreta Anhaltina rapporte quelques fragmens de lettre, par où il paraît que François Aarsens, en allant à Venise, avait des lettres de créance pour négocier avec les cantons protestans, et qu’il en reçut de grands honneurs. Ce fut un an après la députation des ministres suisses au synode de Dordrecht. Gratias se imprimis egisse quòd civitates et oppida non catholica prædicantes suos anno præterlapso ad synodum Dordracensem dimiserint[6].

(D) À l’occasion des mouvements de Bohème. ] Ce fut en l’an 1620 ; et il est à remarquer « que le roi de France[7] défendit à ses trois ambassadeurs, le duc d’Angoulême, le comte de Béthune, et l’abbé des Préaux, de recevoir les visites de M. d’Aarsens, qui allait de la part des états des Provinces-Unies négocier avec quelques princes d’Allemagne et d’Italie, touchant les mêmes affaires de Bohème qui faisaient le sujet de l’ambassade de France. L’ordre qu’on leur envoya portait que ce n’était pas à cause des états, avec lesquels le roi voulait continuer de vivre en bonne intelligence, mais à cause de M. d’Aarsens en particulier, pour en avoir mal usé touchant le service et la dignité de sa majesté. Ceux qui ont quelque connaissance des affaires de ce temps-là ne peuvent pas ignorer que ce fut parce qu’Aarsens s’était mis à la tête de ceux qui s’opposèrent, en l’an 1619, à l’affaire que le roi fit négocier à la Haye, avec beaucoup d’empressement, par Boissise et du Maurier, ambassadeurs. » Ajoutons à ces paroles de M. Wicquefort un

  1. Là même, pag. 388.
  2. Là même, pag. 381.
  3. Là même, pag. 377, 378.
  4. Là même.
  5. Voyez la préface de l’Histoire du Concile de Trente, traduite par Amelot de La Houssaye.
  6. Caucell Anhalt. pag. 151.
  7. Wicquef. De l’Ambass. Tome I, p. 658.