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AMYOT.

car elle est adressée à M. de Morvillier en cour. Remarquez bien ces paroles d’Amyot : Il a plu à M. le cardinal de Turnon, et à M. l’ambassadeur de Selve, de m’élire pour faire ceste commission, sans que je pensasse à rien moins qu’à cela, ny à chose semblable…[1]. Il faut noter que non-seulement je n’estois point nommé en celle lettre[2] ni près ni loin ; mais qui pis est, on n’en avoit pas seulement envoyé la coppie, par laquelle nous peussions sçavoir ce qu’il y avoit dedans. De sorte que je ne veis jamais chose si mal cousue que cela[3]. Ce ne fut donc point le roi qui l’envoya faire ses protestations contre le concile : ce fut le cardinal de Tournon, et l’ambassadeur de France à Venise, qui le choisirent pour porter la lettre au roi, et pour lire mot à mot, devant l’assemblée, la protestation de sa Majesté. Il s’acquitta tout-à-fait bien de la commission. Voici où j’en veux venir. M. l’abbé de Saint-Réal pose en fait qu’Amyot était précepteur des enfans de France, avant la négociation qui vient d’être rapportée ; et il suppose qu’Henri II l’employa à cette affaire, parce qu’il avait reconnu la vérité d’un bon témoignage que M. de l’Hôpital avait rendu, quand il avait dit au roi qu’Amyot méritait d’être précepteur des enfans de France. Tout cela est réfuté invinciblement par la lettre d’Amyot à Morvillier. Corrigez sans crainte ce mensonge dans du Saussai : Cæterùm, Amiotus adhuc abbas ad concilium Tridentinum ab Henrico II missus fuit, negotiorum magni momenti causâ[4]. Henri II n’eut aucune part à cela.

(E) Charles IX le fit grand-aumônier de France, et évêque d’Auxerre. ] La première de ces deux dignités fut conférée à Amyot le 6 de décembre 1560, par Charles IX, à Orléans. Du Peyrat, qui avait lu les registres des grands-aumôniers de France, rapporte cette date comme extraite du registre d’Amyot[5]. C’est donc un fait avéré. Or on fait tomber par-là plus de la moitié de l’histoire que l’abbé de Saint-Réal raconte touchant la fortune de ce prélat. Il dit qu’Amyot, sous le règne de ses disciples François II et Charles IX, n’avait que l’abbaye de Bellosane, avec la gloire d’avoir prononcé devant tout le concile la judicieuse et hardie Protestation de Henri II, et que sa fortune était apparemment pour en demeurer là, sans une rencontre fortuite, qui le porta plus haut qu’il n’avait jamais espéré, et qui marque admirablement l’esprit de la cour. Ce cas fortuit fut, qu’un jour, à la table de ce prince, on loua Charles-Quint de plusieurs choses, mais surtout d’avoir fait son précepteur pape… Cela fit impression sur l’esprit de Charles IX, jusque-là même qu’il dit que, si l’occasion s’en présentait, il en ferait bien autant pour le sien. Et de fait, peu de temps après, la grande-aumônerie de France ayant vaqué, le roi la donna à Amyot. Tout cela tombe par-terre, dès qu’on consulte les registres de cette grande-aumônerie, où l’on trouve la charge de grand-aumônier conférée à Amyot le second jour du règne de Charles IX. D’ailleurs, François II ne fut pas disciple d’Amyot, mais de Pierre Danès. Poursuivons : M. de Saint-Réal suppose que la reine-mère, ayant su bientôt ce que Charles IX avait fait pour son précepteur, fit appeler celui-ci dans son cabinet, où elle le reçut d’abord avec ces effroyables paroles : « J’ay fait bouquer les Guises et les Chatillons, les Connétables et les Chanceliers, les Rois de Navarre et les Princes de Condé ; et je vous ay en tête, petit prestolé. » Amyot eut beau protester de ses refus, la conclusion fut que, s’il avait la charge, il ne vivrait pas vingt-quatre heures. L’abbé dit ensuite, qu’Amyot s’alla cacher, et que Charles IX s’avisant aussitôt de ce que ce pouvait être… entra dans une telle fureur…, que la reine, qui avait assez de peine à le gouverner, et qui le craignait autant qu’elle l’aimait, n’eut rien de plus pressé que de faire trouver Amyot. C’est supposer que Charles IX était roi depuis long-temps, lors-

  1. Instructions et Missives des rois très-chrestiens, et autres Pièces concernant le Concile de Trente, pag. 14, édit. de 1608.
  2. C’est celle que le roi écrivait aux pères de Trente.
  3. Instructions, Missives, etc., pag. 23.
  4. Andr. Saussaius, de Scriptor. Ecclesiast., num. 52.
  5. Guillaume Du Peyrat, Histoire Ecclésiastique de la Cour, ou les Antiquités et Recherches de la chapelle et oratoire du roi de France, pag. 102.