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AMMONIUS.

(B). Ce grand philosophe donna un merveilleux éclat à l’école d’Alexandrie, et mit sur un pied honorable la science dont il faisait profession. Il la trouva misérablement dépravée par les vaines subtilités des disputeurs. On a vu dans le christianisme ce qu’ils sont capable faire ; on l’a vu, dis-je, par les controverses des thomistes et des scotistes, des réaux et des nominaux. Ils faisaient tous profession de suivre Aristote, et néanmoins ils multiplièrent les disputes à l’infini. Quelle idée ne doit-on pas donc se former des disputes qui régnaient anciennement, lorsque les philosophes, partagés en plusieurs sectes sous différens chefs, condamnaient les uns Platon, et les autres Aristote, etc. ? C’était un chaos de chicaneries qui déshonorait la profession. Le véritable moyen de réhabiliter cette science était de bannir les disputes inutiles et de s’attacher aux dogmes en quoi Platon et son disciple s’étaient accordés. C’étaient sans doute les doctrines les plus certaines, et par conséquent les plus importantes. Voilà pourquoi Ammonius se fit un devoir capital de concilier ces deux chefs de secte (C), et d’éclaircir le malentendu sur lequel on bâtissait leurs prétendues oppositions ; et l’on ne saurait dire la gloire qu’il s’acquit par cette manière de philosopher. On lui donna l’éloge d’un inspiré, d’un homme enseigné de Dieu (D), d’un homme qu’un instinct céleste avait mis dans cette route. M. Moréri et bien d’autres ont ignoré le fondement de cette louange (E). On ne s’est pas moins trompé lorsqu’on a dit qu’Ammonius enseignait à ses disciples les mystères de l’Évangile sous le sceau du secret (F). Il y a des gens qui ont confondu ses ouvrages de théologie avec ceux de quelques autres auteurs (G) ; mais enfin on a su rendre à chacun le sien. Il eut, entre autres disciples, Plotin et Origène. Il mourut environ l’an 230[a]. Je crois qu’on le doit distinguer du péripatéticien Ammonius (H) qui était, selon Philostrate, le plus savant homme de son siècle, et celui qui avait le plus de lecture.

J’ai trouvé une grosse faute dans l’un des commentateurs de Boëce. Il impute à notre Ammonius d’avoir été le principal corrupteur de la doctrine de Platon sur l’éternité du monde (I). Rien n’est plus faux que cela.

  1. Selon Cave, Histor. Litterar., p. 72.

(A) Ammonius, surnommé Saccas. ] Ammien Marcellin[1] et Suidas[2] témoignent qu’il avait ce surnom. On croit assez communément que de son premier métier il était porteur de sacs, et l’on se fonde sur le même Suidas. Voici les paroles du docte Henri de Valois : Saccas videtur ex eo dictus Ammonius, quod mercibus ex portu Alexandrino comportandis victum sibi quæsivisset, cujusmodi homines saccarios antiqui vocabant, ut videre est in codice Th. tit. de Saccariis portûs urbis Romæ. Suidas, Πλωτῖος, inquit, μαθητὴς Ἀμμωνίου τοῦ πρῶην γενομένου σακκοϕόρου[3].

(B) Porphyre dit faussement qu’Ammonius abandonna le christianisme... dès qu’il fut en âge de philosopher. ] Voyons les paroles originales : Ὅ τε τοῦ ϕρονεῖν καὶ τῆς ϕιλοσοϕίας ἥψατο, εὐθὺς πρὸς τὴν κατὰ νόμους πολιτείαν μετεϐάλετο[4]. Simul atque per æta-

  1. Amm. Marcellin., lib. XXII, circa fin.
  2. Suidas in Ὠριγένης.
  3. Henr. Vales. in Ammian. Marcellin., lib. XXII.
  4. Porph., lib. III, adversùs Christianos,