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AMMONIUS.

ter sapere potuit, et philosophiæ limen attingere, statìm ad vivendi rationem legibus consentientem descivit. Porphyre, en disant cela, était animé de l’esprit dont j’ai fait mention dans la remarque (E) de l’article d’Abulpharage.

(C) Il se fit un devoir de concilier Platon et Aristote. ] Nous apprenons cela d’Hiéroclés, auteur d’un ouvrage sur la Providence, dont on trouve des extraits dans la Bibliothéque de Photius. Il n’y avait, selon cet auteur, que des gens dominés par l’envie de contredire, par la manie de disputer, ou par la force des préjugés et par les ténèbres de leur esprit, qui trouvassent de la discorde entre les dogmes de Platon et ceux d’Aristote : Τοὺς μὲν ἑκόντας ἔριδι καὶ ἀπονοίᾳ σϕᾶς αὐτοὺς προσαναθέντας, τοὺς δὲ καὶ προλήψει καὶ ἀμαθίᾳ δεδουλωμένους[1]. Alios suâ sponte contendendi studio atque vesaniæ sese addicentes, alios præoccupatâ opinione atque imperitiâ subactos. De ces deux sortes de disputeurs, la première avait été fort nombreuse avant que les lumières d’Ammonius vinssent éclairer le monde : Ammonii aliquandò sapientia orbi illuxit, quem etiam divinitùs edoctum appellari prædicat. Hunc enim veterum philosophorum opinionibus perpurgatis, et resectis quæ utrimque excreverant nugis, in præcipuis quibusque et maximè necessariis dogmatibus concordem esse Platonis et Aristotelis sententiam demonstrâsse[2].

(D) On lui donna l’éloge d’un inspiré, d’un homme enseigne de Dieu. ] Nous venons de rapporter un passage d’Hiéroclés où se trouvent ces paroles : ὅν καὶ θεοδίδακτον ἐπικαλεῖσθαι ὑμνεῖ, quem etiam divinitùs edoctum appellari prædicat. En voici un autre où ce même auteur raconte que les disciples de Platon et ceux d’Aristote se plaisaient tellement à immortaliser leurs querelles, qu’ils corrompaient le texte de ces deux chefs de parti, afin de montrer plus facilement que l’un était opposé à l’autre. Ce désordre dura, poursuit-il, jusqu’au temps d’Ammonius, le disciple du grand Dieu ; car, enlevé par enthousiasme vers la vérité philosophique, il pénétra le fond des deux sectes, et les accorda ensemble, et donna à ses auditeurs un système de philosophie affranchi des brouilleries de la dispute : Ἕως Ἀμμωνίου τοῦ θεοδιδάκτου· οὗτος γὰρ πρῶτος ἐνθουσιάσας πρὸς τὸ τῆς ϕιλοσοϕίας ἀληθινὸν, καὶ τὰς τῶν πολλῶν δόξας ὑπεριδὼν, τὰς πλεῖςον ὄνειδος ϕιλοσοϕία προστριϐομένας, εἷδε καλῶς τὰ ἑκατέρου, καὶ συνήγαγεν εἰς ἕνα καὶ τὸν αὐτὸν νοῦν καὶ ἀςασίαςον τὴν ϕιλοσοϕίαν παραδέδωκε πᾶσι τοῖς αὐτοῦ γνωρίμοις, μάλιςα δε τοῖς ἀρίςοις τῶν αὐτῷ συγγεγονότων Πλωτίνῳ καὶ Ὠριγένει καὶ τοῖς ἕξῆς ἀπὸ τούτων[3]. Usque ad divinitùs edoctum Ammonium. Hic enim primus æstu quodam raptus ad philosophiæ veritatem, multorumque opiniones, qui magnum dedecus philosophiæ attulerunt, contemnens, utramque sectam probè calluit, et in concordiam adduxit, et à contentionibus liberam philosophiam tradidit omnibus suis auditoribus, et maximè doctissimis æqualibus suis Plotino et Origeni et successoribus.

(E) Moréri et bien d’autres ont ignoré le fondement de cette louange. ] Ammonius, selon M. Moréri, « s’attacha plus particulièrement à la divine philosophie de Jésus-Christ. Il y acquit en effet une telle estime, qu’on le regarda comme un homme qui avait été particulièrement instruit de Dieu, et on lui donna pour cette raison le nom de Théodidacte. » Il se trompe : je ne veux point contester à Ammonius son savoir théologique : il en aura tant qu’on voudra ; mais sûrement ce n’est point par cet endroit qu’il acquit l’éloge de Théodidacte. Il l’acquit par ses leçons de philosophie, qui ne parlaient que de Platon et d’Aristote, et nullement de Jésus-Christ et de l’Évangile. Ses auditeurs étaient partagés ; les uns professaient le paganisme, les autres le christianisme : il fallait donc qu’il laissât à part les matières de religion, et principalement celles de piété. Hiéroclès, qui était un philosophe païen, aurait-il parlé comme il a fait si la science de l’Évangile avait procuré à Ammonius l’éloge dont il s’agit ? Je croirais sans peine qu’Ammonius ne passait point pour chrétien parmi les païens, et que c’est la raison qui a mu

    apud Euseb. Hist. Ecclesiast., lib. VI, cap. XIX.

  1. Photius, Bibliotb., num. 214, pag. 549.
  2. Hierocles apud Photium, ibidem.
  3. Ibidem, num. 251, pag. 1381.