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« humanités » se témoignaient sans chaleur et sans vie. Son père le voulait avocat comme lui-même. Il dut suivre les cours de droit à l’Université. Étant étudiant, il fit la connaissance de Charles de Coster, à la suite, dit-on, d’un virulent article — le premier article de Lemonnier — publié dans un journal de théâtres ; et cette providentielle rencontre semble établir la filiation du futur romancier à l’auteur d’Ulenspiegel, dont il devait prononcer l’oraison funèbre en accolant à son nom l’épithète, alors insolite, de génie. Ce fut alors, semble-t-il, pendant ces années d’adolescence ardente, que commença à s’élucider le sens de sa vie et que la germination lentement s’élabora. Devant l’insuccès persistant des études juridiques de son fils, l’avocat Lemonnier dut renoncer à ses espérances et le faire admettre, à 19 ans, comme scribe au gouvernement provincial de Bruxelles. C’est parmi les paperasses et les cartons verts d’un bureau qu’il écrivit ses deux premiers Salons, pour la publication desquels, dit-on, un brave homme de notaire consentit l’avance de fonds nécessaire. À 22 ans, le gratte-papier récalcitrant s’évadait. Réprimandé pour son manque de zèle et d’exactitude, il répliquait en apportant pompeusement à son chef hiérarchique, le gouverneur du Brabant, sa démission[1].

À 25 ans, il perdit son père. Alors son destin se précisa. Il quitte Bruxelles et gagne le plein air auquel aspirent ses poumons. Il loue un château dans la montagne, non loin de Namur, et s’y installe. Ce fut là l’ivresse après les ténèbres de la vie urbaine, l’assouvissement d’un instinct

    parla pendant deux heures avec le même emportement que celui qu’inspire un nombreux auditoire. Quand il eut terminé, de très faibles et timides applaudissements se firent entendre de la part d’un des trois auditeurs qui restaient encore dans la salle ; ils étaient de Camille Lemonnier pâmé devant Baudelaire. »

  1. L’anecdote, fort amusante, a été contée par M. Delmer (loc. cit., p. 38).