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longtemps contenu. Au château de Burnot, il mène une existence rurale et athlétique. Il savoure l’indépendance. Il s’éprouve vivre. Il aspire le paysage, la vie champêtre. Il prend contact avec la terre. Ce fut la grande révélation, la veillée d’armes avant l’assaut. Je cède la parole à l’un de ses biographes : « Né par erreur entre les murs d’une grande ville, Lemonnier retrouvait enfin sa vraie patrie. Ce fut pour lui une sorte d’initiation. Dans le petit espace de terrain qui s’étendait autour de sa maison rustique, il voyait réunis les charmes d’un beau fleuve, les délices âpres et rudes des bois. Il chassa, il pêcha, il braconna. Il vécut les émois de son Mâle avant de songer à les écrire. Il s’enivra de nature, il en but, il en mangea jusqu’à satiété. Et quand, la bourse vide, il lui fallut songer à rentrer dans l’existence normale, il s’arracha à cette terre sauvage et splendide avec un désespoir dont l’amertume, aujourd’hui même, ne l’a pas quitté[1]. » C’est parmi cette existence magnifique qu’il écrivit Nos Flamands, son premier livre. L’année suivante il accomplissait le pèlerinage de Sedan, d’où sortit son premier chef-d’œuvre.

Sa vraie biographie c’est son œuvre, l’œuvre de ses quarante années de labeur. C’est en elle qu’il a versé les énergies de sa vie. C’est en formules d’art que sont inscrites les crises qu’il a traversées.

En cette œuvre touffue, complexe, on peut, sans trop d’arbitraire, envisager trois périodes. La première, où, triomphe un art gras, opulent, outrancier, gonflé de sève, avant tout plastique, occupa sa jeunesse de 20 à 40 ans. La seconde, où dominent le souci d’une littérature autre et la curiosité chercheuse du psychologue, est le résultat de son âge mûr, de 40 à 50 ans. À partir de la cinquantaine, c’est un retour à l’instinct de la jeunesse, mais à un instinct qui, ayant

  1. Georges Rency, Revue de Belgique, 15 février 1903.