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maîtresse œuvre, largement lue d’ailleurs et partout traduite. Ces pages, écrites « presque dans le sang », tout auprès de la mort et des infernales épouvantes du carnage, de la déroute et de la douleur, ont gardé toute la splendide horreur que le spectacle de la guerre peut faire naître dans une âme d’humain. L’art de l’auteur, qui déjà s’y dénonce d’une surprenante maturité, y a distillé souverainement l’épouvante des tueries monstrueuses. Une immense douleur muette les traverse. Ce livre est doublement beau. Il est beau de sa définitive maîtrise d’art et de « l’horreur réfléchie de la guerre » qu’il trahit. « Je n’ai qu’une exécration, la guerre. Celle-là est indestructible en moi, comme mon âme et mon nom d’homme libre. » Cette phrase de l’œuvre en pourrait être l’épigraphe. Il est apparu d’ailleurs tellement évocatoire et suggestif, ce livre, — qui forme avec Bas les armes de Bertha de Suttner et la Débâcle de Zola comme le triptyque de l’horreur, — qu’on y songea un instant pour le prix Nobel.

Ce sont ensuite des contes empruntés à la vie wallonne ou flamande, simples histoires, tendres et parfumées, qui prouvent combien l’art de Lemonnier s’enracine, dès ses débuts, dans le sol natal. Taine, qui les aimait, y salua l’aube d’une maîtrise et les prémisses d’un écrivain de race et de terroir dont le nom devait être associé désormais à Auerbach, Gogol et Thackeray. Tout ceci n’est, à vrai dire, que le prélude. Dans l’œuvre de Camille Lemonnier c’est le roman qui occupe la place d’honneur. Le roman est la colonne vertébrale de son art. Nous nous devons donc d’accorder au romancier la meilleure partie de cette étude.

Bien que publié dix ans plus tard, il faut considérer Thérèse Monique comme son début dans le roman. Nous devons avouer que, quelque bien intentionné ou perspicace qu’on soit, il est difficile de présager, à travers le sentimentalisme un tantinet puéril et l’affabulation simplette du