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temps sevré. Emporte fatalement d’un excès à l’autre, il s’enfonce dans la volupté animale, dans l’affolement nerveux du contact, et y sombre, victime de l’erreur initiale.

Cette œuvre brûlante et navrante, d’une si personnelle saveur, où se sous-entend un hymne en l’honneur de l’instinct et des saines énergies vitales de l’être humain, est le plus âpre et le plus vivant des réquisitoires qu’aient suscités les morales issues des vieilles théologies. Œuvre douloureuse et vengeresse où saigne une humanité, trompée par ses éducateurs et où la voix ardente et grave de l’écrivain semble le porte-parole d’un âge avide de se soustraire aux corrupteurs d’humanité, pour inaugurer, dans la pleine franchise, le retour aux enseignements de la nature et de la vie.

L’indubitable beauté de ce livre — le plus intégralement beau peut-être de l’œuvre entier — la gravité de son accent, sa haute valeur éthique, n’empêchèrent pas que la magistrature, en sa troisième crise de pudeur à l’égard du libre artiste, impénitent en ses franchises d’art, n’y considérât que les vives images qu’il contient et ne le citât de ce chef. L’écrivain cette fois fut triomphalement acquitté. Et ce procès de Bruges, qui lui fut l’occasion d’une belle manifestation de sympathie venant de ses amis des lettres, allait être le prétexte d’une récidive de la part de l’écrivain.

Après une étude de second plan. Une Femme, livre de délassement entre deux maîtresses entreprises, Lemonnier, poursuivant l’expression toujours plus adéquate de la grande idée qui l’emplit, allait offrir cette fois la révélation complète de lui-même en une œuvre où ses aspirations présentes s’ordonnent et se totalisent. Adam et Eve demeure son livre favori, celui dont il est le plus orgueilleux, sans doute parce qu’il y exprima le plus clair et le plus intime de son idée, et qu’il sut y communiquer, à un degré vraiment suprême, ce frisson de vie et de nature que le grand