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C’est l’historique du mouvement qui, en Belgique comme en France, entraina l’art moderne vers la nature et la vérité. Il y portraiture, de sa manière compréhensive, vivante et forte, les grands artistes belges de Joseph Stevens à Artan, qui, pour la plupart, furent ses amis. Ces études, qui vont du détail le plus scrupuleux aux vastes synthèses, ont la largeur sereine qui convient au vrai historien et au critique philosophe. Elles ne sont pas même dépourvues d’une qualité bien imprévue, venant d’un passionné et d’un instinctif comme lui : l’impartialité. C’est là vraiment un livre classique, au meilleur sens de ce mot, sur l’art moderne en Belgique, — un livre d’ailleurs abondamment pillé. Tels de ses portraits, ceux de Baron et de Charles de Groux, ou bien encore celui de Wiertz, d’une si aiguë vérité, devraient figurer dans une anthologie des peintres. Cela est complet, définitif, d’absolue justesse, et de plus écrit dans une langue qui s’égale à l’art du peintre décrit.

Ce qui vaut surtout dans le volume d’impressions recueillies par Lemonnier au cours de son voyage En Allemagne, ce sont les pages sur l’art et entre toutes celles que lui inspira la si riche Vieille Pinacothèque de Munich. Il s’y rencontre face à face avec Rubens et Jordaens. La vue des soixante-seize Rubens — la plus formidable collection du maître qui soit — le plonge dans un enivrement. « En Rubens, déclare-t-il, je sens s’éveiller ma race, il est le père spirituel des hommes à sang rouge… » Devant ce prodigieux animal qu’est le peintre anversois, toute l’animalité de sa nature s’exalte et s’épanouit, le fauve se redresse et l’on entend soudain, parmi les calmes notations du livre, un long rugissement de joie et de triomphe. Et cette confrontation des deux Rubens, celui du livre et celui du tableau, nous a valu ces pages éblouissantes, inouïes, de relief si fantastique que les mots semblent y acquérir des puissances inconnues, que les phrases s’y revêtent positive-