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chait sans mesure, inépuisablement. C’est là le secret du perpétuel devenir en lequel il se maintient. Il ne s’est pas figé et froidi comme la plupart : en lui la sève toujours circule vive, le sang se maintient rouge et chaud, l’âme sonore et brûlante. C’est un sensitif aspirant la vie par tous ses pores, par toutes ses fibres, la buvant jusqu’à l’ivresse, et dont les émotions se répercutent tumultueuses, intenses et longues, ébranlant l’organisme. Je serais bien surpris que le cœur ne fût pas chez lui un organe physiquement très développé, d’une exceptionnelle vigueur. Le cœur qui bat suivant le rythme de la vie, le cœur par quoi nous nous prolongeons au sein de la nature et des êtres, le cœur source des effusions, le cœur centre d’enthousiasme, se décèle à chaque page de son œuvre, suggérant l’image d’un être de fougue, de jouissance et de communion.

Il possède les deux qualités complémentaires. Il est un sanguin et un nerveux à la fois. De même que ce sensuel est un réfléchi, ce vibrant un passionné de solitude. Et ceci dans l’équilibre admirable de sa nature opulente.

Son œuvre est l’adaptation de cette force élémentaire qui est en lui à de neuves formules d’art. Ou mieux, selon son propre aveu : « Ma race se tourmentait d’enfermer aux formes latines l’âme cordiale et rude des ancêtres blonds. » Aussi, quelles qu’en soient les contradictions et les antithèses apparentes, quelque reproche dont soit passible tel aspect de son art, il a cette vertu capitale, dont nulle subtilité ne peut celer l’absence, et qui est le tempérament. C’est un procréateur aux reins vigoureux et féconds. Je fais fi de son talent prodigieux pour ne voir ici que ce don de créer, qui est le génie. Je ne vois pas l’homme rompu à la manœuvre du vocable, je vois seulement l’homme fort. Celui-là n’est pas un siffleur de petits airs, un virtuose du chatouillement, un miniaturiste. C’est un rude gars aux muscles bandés, aux bras qui étreignent, à la volonté qui s’implante au