Page:Bazin - La Barrière, Calmann-Lévy.djvu/125

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comme s’il avait pu en faire le tour ; il jugeait de même les hommes, donnait des ordres précis, ne se reprenait jamais ; il possédait un pouvoir de combiner, de prévoir, de se souvenir, qui eût fatigué une demi-douzaine de têtes ordinaires. La sienne résistait. Elle demeurait parfaitement libre et aisée. Sorti de ses bureaux et de ses salles de conseil, dans les salons, dans la rue, au théâtre, il semblait avoir oublié, il oubliait les affaires, et défendait qu’il en fût question devant lui, mais, du même coup, il devenait banal. Il parlait bien, jamais de source. Sa conversation était faite de coupures de journaux et de réminiscences de dialogues entendus. Si on le contredisait, il affirmait plus nettement, pourvu qu’il vît quelque intérêt à soutenir son opinion. Et alors, il avait beau sourire, simuler l’empressement, l’ardente curiosité des arguments de l’adversaire, plusieurs signes, sa mâchoire avancée, ses doigts qui remuaient nerveusement, ses sourcils rapprochés, le son de sa voix, le battement et le relief des veines de ses tempes, disaient l’âpre volonté de l’homme, l’orgueil d’un succès constant, l’expérience de l’immense faiblesse des caractères.