Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/39

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pas si je serai heureuse, mais il est trop tard maintenant, j’ai promis.

Et elle avait une si grande crainte de voir revenir le père, qu’elle était comme folle de hâte. En peu de temps elle avait achevé son paquet, abandonné la Fromentière, gagné le chemin creux où elle attendrait, blottie derrière les haies, le passage du tramway à vapeur qui vient de Fromentine et conduit à Challans. Là, elle devait retrouver François.

Il y avait de cela plusieurs heures.

Dans l’intervalle, le père était rentré, au galop de la Rousse.

— Éléonore ? avait-il crié.

— Partie ! avait répondu Mathurin.

Alors, à demi-fou de chagrin, jetant les guides sur le dos de la bête en sueur, le métayer, sans rien expliquer, s’était dirigé à grands pas vers Sallertaine. Avait-il une dernière espérance, une idée ? Ou bien sa maison déserte lui faisait-elle peur ?

Il n’avait pas encore reparu. La nuit tombait. Une brume moite, enveloppante et douce comme la mort, couvrait les terres, et fouillait jusqu’aux fentes du sol. Dans la salle de la Fromentière, devant le feu que personne n’attisait, devant la marmite qui bouillait à peine avec un bruit de plainte, les deux seuls enfants que possédât la ferme veillaient, mais combien différents ! Rousille, nerveuse, brûlée de fièvre, ne pouvait tenir en place, et tantôt se levait de sa chaise, joignait les mains et murmurait : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » tantôt allait jusqu’à la porte ouverte sur la nuit. Là, frissonnante, elle se penchait dans l’air trouble et mêlé d’ombre.

— Écoute ! disait-elle.

L’infirme écoutait, et disait :

— C’est le biquier de Malabrit qui ramène son troupeau.

— Écoute encore !

Des abois légers, lointains, portés dans le grand silence, venaient mourir contre les murs.

— Je ne reconnais pas la voix de Bas-Rouge, reprenait Mathurin.

Et, de quart d’heure en quart d’heure, un pas, un cri,