Page:Bazin - La Terre qui meurt, 1926.djvu/93

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— Bon homme, le Glorieux, interrompit le père, bonne famille, la sienne.

— J’ai été voir aussi les Ricolleau de Malabrit…

— Si loin que ça !

— Les Ertus de la Parée du Mont…

Toussaint Lumineau fixa, cherchant à deviner, les yeux clairs de son fils.

— Qu’avais-tu à faire chez tant de monde, mon gars ?

— Une idée…

Il ne put soutenir longtemps l’interrogatoire du regard paternel, et se mit à considérer l’angle sombre où était le lit.

— Une idée… Tenez, pendant que j’étais en route j’aurais voulu faire le tour complet, et m’en aller jusqu’à la Roche, voir François.

— François ? murmura le métayer… Tu es donc comme moi, mon bon gars : tu as souvent ta pensée devers lui ?

Lentement, le jeune homme hocha la tête, et répondit :

— Oui, ce soir surtout, ce soir plus que tous les soirs de ma vie, j’aurais voulu l’avoir à côté de moi.

Les mots d’André étaient dits avec une si forte émotion, avec une solennité si douloureuse, que Mathurin, qui ne savait pas la date du départ d’André, comprit qu’elle était arrivée, et qu’André n’avait plus que des minutes à vivre à la Fromentière. Un flot de sang lui monta au visage ; ses lèvres s’entr’ouvrirent ; un tremblement s’empara de tout son corps, tandis que ses yeux, sans un battement de paupières, s’attachaient sur André. Ils luisaient d’une vie extraordinaire, ces yeux où il y avait de l’orgueil triomphant et aussi, en cette heure suprême, un peu de pitié et d’amitié, de remords peut-être. André devina qu’ils lui disaient adieu.

Le père, cependant, rapprochait sa chaise de la table, et, levant la canne, horizontalement, à la hauteur de la lampe, pour qu’André la vît mieux, il caressait l’anneau d’or avec ses doigts qui avaient de la terre aux jointures. Il croyait la pensée de son fils déjà revenue au présent, ou tendue vers le même avenir que la sienne.

— Moi, dit-il, voilà ce que j’ai acheté, en souvenir de