Page:Beaugrand - Jeanne la fileuse, 1878.djvu/154

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valait mieux que Jules s’éloignât, car il était impossible pour lui de se procurer du travail au village. On avait, il est vrai, acheté des provisions pour la saison d’hiver et le père Girard et sa fille se trouvaient à l’abri du besoin jusqu’au printemps suivant, mais cela ne pouvait pas toujours durer. Le départ de Jules, en dehors des circonstances qui se rattachaient à l’amour de Pierre et de Jeanne, avait donc été une affaire de pure nécessité. Il fallait du pain pour vivre et le jeune homme était le seul membre de la famille qui fût en état de travailler pour en gagner. Le vieillard avait compris cette pénible vérité lorsqu’il avait encouragé son fils à suivre Pierre dans ses voyages lointains, mais l’absence du jeune homme avait jeté le trouble et le désespoir dans son cœur. Il avait atteint un âge où chaque jour pouvait amener des complications sérieuses pour sa santé chancelante, et l’idée d’une mort prochaine lui venait parfois malgré lui. Et que ferait Jeanne, alors, seule et sans appui, éloignée de son frère et de son protecteur naturel ? Ces tristes réflexions ajoutaient encore aux troubles du père Girard et il passait de longues heures, absorbé dans sa douleur, craignant d’ajouter aux chagrins de son enfant par le spectacle de son propre découragement.