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LETTRES DE VOYAGE

et poëtiquement écrites, et tous ceux qui ont été témoins de ces scènes fantastiques, les voient encore revivre devant leurs yeux en lisant cette description du grand écrivain :

« L’orchestre du caïd, débuta par une sérénade en notre honneur ; l’instrument dont les musiciens se servaient était une espèce de hautbois ou de flûte, avec une anche plate et cerclée d’une rondelle de bois où s’appuyaient les lèvres des musiciens ; immobiles, les yeux baissés, ne faisant d’autres mouvements que ceux indispensables pour le placement des doigts sur les trous, ils nous jouèrent, sur une tonalité très élevée, une cantilène qui rappelait beaucoup la danse des almées de Félicien David. Les broderies des deux flûtes semblaient s’enlacer autour du motif principal comme les serpents autour du caducée de Mercure ; qu’on nous passe cette comparaison mythologique, ou si elle paraît trop surannée, comme deux des spirales laiteuses qui montent en sens inverse dans le pied des verres de Venise.

« Les compositeurs de profession trouvent la musique des Orientaux barbare, discordante, insupportable, ils n’y reconnaissent aucun dessin, aucun rythme, et n’en font pas le moindre cas. Pourtant elle m’a souvent produit des effets d’incantation extraordinaire avec ses quarts de ton, ses tenues prolongées, ses soupirs, ses notes ranimées opiniâtrement ; ces mélodies frêles et chevrotantes sont comme les susurrements de la solitude, comme les voix du désert qui parlent à l’âme perdue dans la contemplation de l’espace ; elles éveillent des nostalgies bizarres, des souvenirs infinis, et racontent des existences antérieures qui vous reviennent confusément ; on croirait