Page:Beaumarchais - Œuvres choisies, édition 1913, tome 2.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

réclamé pour le théâtre. Il a donc fallu l’y souffrir : alors les grands
du monde ont vu jouer avec scandale,

  Cette pièce où l’on peint un insolent valet
  Disputant sans pudeur son épouse à son maître.

  M. Gudin.

Oh ! que j’ai de regret de n’avoir pas fait de ce sujet moral une
tragédie bien sanguinaire ! Mettant un poignard à la main de l’époux
outragé, que je n’aurais pas nommé Figaro, dans sa jalouse fureur je
lui aurais fait noblement poignarder le puissant vicieux ; et comme il
aurait vengé son honneur dans des vers quarrés, bien ronflans, et que
mon jaloux, tout au moins général d’armée, aurait eu pour rival quelque
tyran bien horrible et régnant au plus mal sur un peuple désolé ; tout
cela très-loin de nos mœurs, n’aurait, je crois, blessé personne ; on
eût crié bravo ! ouvrage bien moral ! Nous étions sauvés, moi et mon
Figaro sauvage.

Mais, ne voulant qu’amuser nos Français, et non faire ruisseler les
larmes de leurs épouses, de mon coupable amant j’ai fait un jeune
seigneur de ce temps-là, prodigue, assez galant, même un peu libertin,
à peu-près comme les autres seigneurs de ce temps-là. Mais qu’oserait-on
dire au théâtre d’un seigneur, sans les offenser tous, sinon de lui
reprocher son trop de galanterie ? N’est-ce pas-là le défaut le moins
contesté par eux-mêmes ? J’en vois beaucoup d’ici rougir modestement, (et
c’est un noble effort) en convenant que j’ai raison.

Voulant donc faire le mien coupable, j’ai eu le respect généreux de ne
lui prêter aucun des vices du peuple. Direz-vous que je ne le pouvais
pas, que c’eût été blesser toutes les vraisemblances ? Concluez