Page:Beaumarchais - Œuvres choisies, édition 1913, tome 2.djvu/160

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répond : Il y a, parguenne, une bonne Providence ! Vous en avez tant fait
dans le pays, qu’il faut bien aussi qu’à votre tour !…

Cette profonde moralité se fait sentir dans tout l’ouvrage ; et s’il
convenait à l’auteur de démontrer aux adversaires qu’à travers sa forte
leçon il a porté la considération pour la dignité du coupable, plus loin
qu’on ne devait l’attendre de la fermeté de son pinceau, je leur ferais
remarquer que, croisé dans tous ses projets, le comte Almaviva se voit
toujours humilié, sans être jamais avili.

En effet, si la Comtesse usait de ruse pour aveugler sa jalousie, dans
le dessein de le trahir ; devenue coupable elle-même, elle ne pourrait
mettre à ses pieds son époux, sans le dégrader à nos yeux. La vicieuse
intention de l’épouse brisant un lien respecté, l’on reprocherait
justement à l’auteur d’avoir tracé des mœurs blâmables ; car nos
jugemens sur les mœurs se rapportent toujours aux femmes : on n’estime
pas assez les hommes pour tant exiger d’eux sur ce point délicat. Mais,
loin qu’elle ait ce vil projet, ce qu’il y a de mieux établi dans
l’ouvrage est que nul ne veut faire une tromperie au Comte, mais
seulement l’empêcher d’en faire à tout le monde. C’est la pureté des
motifs qui sauve ici les moyens du reproche : et de cela seul, que la
Comtesse ne veut que ramener son mari, toutes les confusions qu’il
éprouve sont certainement très-morales ; aucune n’est avilissante.

Pour que cette vérité vous frappe davantage, l’auteur oppose à ce mari
peu délicat la plus vertueuse des femmes par goût et par principes.

Abandonnée d’un époux trop aimé, quand l’expose-t-on à vos regards ? dans
le moment critique où sa bienveillance pour un aimable enfant, son
filleul, peut devenir un goût dangereux, si elle permet