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iiS ESSAI SUR LE GENRE

doate à vous avoir pour modèles ; mais elle étoit , avant que vous eussiez vous-mêmes l'existence, sans laquelle ou ne .sert de modèle à personne. Je renvoie vos auteurs à la petite nouvelle Espagnole du comie de Belflor, dans le Diable boiteux. Elle fut la source oii j'en puisai l'idée. Le foible parti que j'en ai tiré leur laissera peu de regrets de n'a- voir pu m'étre bons à quelque chose.

La fabrique du plan, ce travail rapide, qui ne fait que jeter des masses , indiquer des situations, donner l'ébauche aux caractères , marchant avec chaleur, ne vit point ralentir mon courage; mais lorsqu'il fallut couper le sujet , l'étendre , le mettre en œuvre, ma tête, refroidie par les détails de l'exécution , connut la difficulté , s'effraya de l'en- treprise , abandonna drame et dissertation. Et, tel qu'un enfant rebute des efforts qu'il a faits pour dérober des fruits trop élevés, se dépite et finit par se consoler en cueillant des fleurs au pied de l'arbre même , une chanson ou des vers à Thémire me firent oublier la peine inutile que j'avois prise.

Peu de temps après , M. Diderot donna son Père de Tamille. Le génie de ce poëte , sa manière forte, le ton mâle et vigoureux de son ouvrage dévoient m'arraoher le pinceau de la main ; mais la route qu'il venoit de frayer avoit tant de charmes pour moi , que je consultai moins ma foiblesse que mon goût. Je repris mon drame avec une nouvelle ar- deur. J'y mis la dernière main , et je l'ai depuis donné aux comédiens. Ainsi l'cnfaut que le succès d'uu homme rend ojiiniâtre , atteint quelquefois aux fruits qu'il avoit désirés. Heureux , eu les goû- tant , s'il ne les trouve pas remplis d'amertume ! Voilà l'histoire de ma pièce.

Maintenant qu'elle est jouée, je vais examiner toutes les clameurs et les censures qu'elle a occa-

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