ça !… Parce qu’ils sont en querelle, il faut qu’un pauvre domestique… Euh ! que je voudrais bien !… Je voudrais que chacun ne fût pas plus égaux l’un que l’autre. Les maîtres seraient bien attrapés !… Oui ! et mes gages, qui est-ce qui me les payerait ?
Scène II
M. Aurelly est-il au logis. André ?
Non, monsieur, pour personne ; mais ce n’est pas pour monsieur que je dis ça : il faut que vous entriez, vous. Il va descendre : monsieur veut-il que je l’aille avertir ?
Non, il peut être occupé ; j’attendrai. (Il se promène, et dit à lui-même : ) Le devoir me presse d’agir… l’amour me retient… la jalousie Non, jamais mon cœur ne fut plus tourmenté. S’aimeraient-ils ? La douleur qu’elle a laissé voir ce matin était trop vive !… André ?
Monsieur m’appelle ?
Ce garçon est naïf ; faisons-le jaser. — (Haut, en s’asseyant.) Mon cher André…
Monsieur est plus bon que je ne mérite.
Où est ta jeune maîtresse ?
Ah ! monsieur ! On était si gai les autres voyages, quand vous arriviez ! ce n’est pas par intérêt que je le dis : mais de ce que vous ne logez plus ici, ça fait une peine à tout le monde… Mameselle pleure, pleure, pleure ! et notre maître !… On a servi le dîner : M. de Mélac, son fils, personne ne s’est mis à table ; ni monsieur non plus, ni mameselle non plus.
Ni mademoiselle non plus ! pleurer ! ne rien prendre ! il y a plus que de l’amitié ; la reconnaissance ne va pas si loin.
Moi, je suis si triste qu’en vérité, hors mes repas, tout est resté à faire aujourd’hui.
Mais dis-moi, André : est-ce qu’on ne parle pas quelquefois de la marier ?
Oh ! que oui ! très-souvent bien des gens de Lyon l’ont demandée ; mais bernique ! pas pour un diantre ! notre maître s’y entête.
Et ces refus paraissent-ils la contrarier, l’affliger ?
Elle ? ah ! vous la connaissez bien ! Un mari ? elle s’en soucie… comme moi. Pourvu qu’elle soit obligeante à ravir, qu’elle veille sur toute la maison, qu’elle épargne le bien de son oncle, et qu’elle donne tout son chétif avoir aux pauvres gens, elle est gaie comme un pinson.
Quel éloge ! dans une bouche maladroite ! Il m’enflamme. (Il tire sa bourse.) Tiens, ami, prends ceci, et dis-moi encore…
Un louis ! oh ! mais… si ce que monsieur voudrait savoir était un mal !…
Non : c’est ton honnêteté que je récompense. Nous raisonnons… Entre tous les gens qui ont des vues sur la demoiselle, j’aurais pensé que le jeune Mélac…
Eh bien ! monsieur me croira s’il voudra, mais cette idée-là m’est aussi venue plus de cent fois pour eux. Pas vrai que ça ferait un bien gentil ménage ?
Elle et lui ?
Ah ! c’est qu’elle est si joliment tournée à son humeur ! et c’est qu’il l’aime ! il l’aime !
Il l’aime !… Pourquoi m’en troubler ? J’ai dû m’y attendre. Qui ne l’aimerait pas ?
Il n’y a que ceux qui ne l’ont jamais vue…
Et… crois-tu que ta jeune maîtresse lui accorde du retour ?
Du retour ?
Oui.
Ah ! ah ! ah ! je vois bien à peu près ce que monsieur veut dire. — Mais tenez, il ne faut pas mentir : en conscience, tout ce que je sais, c’est que je sais bien que je n’en sais rien.
S’il en était préféré ! dans l’intimité où vivent leurs parents, aurait-on manqué de les unir ?
Ils ne sont pas désunis pour ça. Quoiqu’elle le gronde toujours, il ne saurait être une heure sans venir faire le patelin autour d’elle : et quand il peut attraper quelque morale, il s’en va content !…
C’est assez, ami. (À lui-même.) Sans doute ils attendaient cette survivance pour conclure… et moi je l’apporte ! Je forge l’obstacle que je redoute !