ah ! ma jalousie s’en irrite… Qu’on est près d’être injuste quand on est amoureux !
Il faut que ces grands génies aient bien de l’esprit, de pouvoir penser comme ça tout seuls à quelque chose. J’ai beau faire, moi, dès que je veux songer à penser, je m’embrouille, et l’envie de dormir me prend tout de suite.
Scène III
Ah ! monsieur, pardon ; vous m’avez prévenu, j’allais passer chez vous.
Je viens vous dire qu’il m’est impossible de différer plus longtemps. Cette journée presque entière, accordée à vos instances, n’a mis aucun changement dans nos affaires.
Elle en a mis beaucoup.
A-t-on trouvé les fonds ?
J’en fais bon pour Mélac.
Vous payez les cinq cent mille francs ?
Cent mille écus que j’emprunte, le reste à moi ; le tout en un mandat sur mon correspondant de Paris, payable à votre arrivée.
Le mariage est certain, on ne fait pas de tels sacrifices… (Haut.) J’admire votre générosité. Je recevrai la somme que vous offrez ; mais… je ne puis me dispenser de rendre compte…
Quelle nécessité ?…
Ce que vous faites pour Mélac ne le lave pas de l’abus de confiance dont il s’est rendu coupable.
Lorsqu’on ne vous fait rien perdre ?…
La même chose peut arriver encore, et vous ne serez pas toujours d’humeur…
En ce cas, monsieur… je reprends ma parole : c’est son honneur seul qui me touche ; et, si je ne le sauve pas en acquittant sa dette, il est inutile que je me dépouille gratuitement.
Vous désapprouvez ma conuite ?
Je n’entends rien à votre politique. Que Mélac soit coupable de mauvaise foi, ou seulement d’imprudence, en rejetant mes conditions vous risquez…
Je ne les rejette pas ; mais il faut m’expliquer.
J’écoute.
Vous voulez sa grâce entière ?
Sans restriction.
J’irai, pour vous obliger, jusqu’au dernier terme de mon pouvoir.
Quelle étendue y donnez-vous ?
Celle que vous y donneriez vous-même. Vous n’exigez pas que je sauve sa réputation aux dépens de mon honneur ?
Il y aurait encore plus d’absurdité que d’injustice à le proposer.
Les intérêts de la compagnie à couvert par vos offres, on peut faire grâce à votre homme de l’opprobre qu’il a mérité ; mais je deviendrais coupable, si je lui confiais plus longtemps une recette…
Vous lui ôtez sa place ?
La lui laisseriez-vous ?
Ah ! monsieur, je vous prie…
Faites un pas de plus.
Comment ?
Vous avez de l’honneur : osez me le conseiller. (Aurelly baisse la tête sans répondre.) J’espère que vous distinguerez ce que je puis accorder, et ce que le devoir m’interdit ; j’accepte l’argent, je me tairai : mais j’exige qu’il se défasse à l’instant de son emploi, sous le prétexte qu’il voudra.
J’avoue qu’il n’est pas digne de le garder ; mais son fils ? cette survivance ? tant de démarches pour l’obtenir ?…
Son fils ! qui nous en répondrait ?
Moi.
C’est beaucoup faire pour eux.
J’ai vingt moyens de m’assurer de lui.
SAINT-ALBAN, rêvant.
J’avoue que… je… je n’ai point d’objection per-