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iii
VIE DE BEAUMARCHAIS.

Dans ses grandes luttes, il l’eut pour collaboratrice. Plus d’une page des Mémoires contre Goëzman lui est due[1]. Elle tournait à merveille l’épître et le couplet, et pour donner raison au refrain qui termine le Mariage de Figaro, « tout finit par des chansons, » elle mourut une chanson sur les lèvres.

C’est de toutes ses sœurs celle qui le comprit le mieux, et qu’en retour il aima le mieux lui-même. Pour ajouter un lien de plus à ceux de la fraternité, il voulut, quand il eut pris le nom qu’il a rendu célèbre, que Julie le prît aussi, ce qui fit dire avec une certaine malice par Goëzman, dans un de ses mémoires : « Le sieur Caron a emprunté à une de ses femmes le nom de Beaumarchais, qu’il a prêté à une de ses sœurs[2]. »

Elle était grande musicienne, composait elle-même les airs de ses chansons, et les chantait en s’accompagnant de la harpe, dont elle jouait presque aussi bien que son frère. Nous verrons plus loin qu’il y était, lui, de première force, de même au reste que sur plusieurs autres instruments, la guitare, la flûte, la viole, etc. Comment se donna-t-il tous ces talents, et bien d’autres, dont nous allons voir l’éclosion étonnante ? On ne sait, car son éducation fut des plus rapides et des moins complètes.

L’intelligence et la facilité, qui, chez certaines natures d’exception, feraient vraiment croire au prodige des sciences infuses, suppléèrent, et lui tinrent lieu du reste.

À treize ans, en 1745, sa première communion faite, les études étaient closes pour lui, et il rentrait à la boutique paternelle, pour n’être plus qu’un apprenti[3]. Le père Caron, qui n’avait que ce fils, car de trois autres, ses aînés, le dernier était mort depuis six ans[4], voulant que le métier dont il avait lui-même hérité de son père ne se perdît pas dans la famille, tenait de la façon la plus absolue à ce que Pierre-Augustin fût horloger.

Voilà pourquoi il le faisait si vite revenir à la boutique, sans s’être auparavant mis, à ce qu’il semble, en fort grands frais pour son instruction.

Quoique lui-même assez lettré, comme nous l’avons dit, il paraît n’avoir guère insisté, pour son fils, sur l’éducation littéraire, telle, par exemple, qu’elle se donnait chez les Jésuites, dont, pour cette raison, Beaumarchais, on l’a su par son ami Gudin, regretta toujours de n’avoir pas été l’élève, comme l’avait été Molière[5].

Plus fortement instruit, plus vivement initié à la connaissance des modèles, peut-être eût-il plus tôt senti l’éveil de son propre génie pour le théâtre, et s’y fût-il abandonné plus complètement, avec moins de distraction. Alors, c’est encore Gudin qui parle, il n’eût pas désespéré de faire de réels chefs-d’œuvre, ce qu’en ces derniers temps surtout, aux heures de la modestie finale, ses pièces ne lui semblaient pas être[6].

C’est dans une sorte d’école de métier, ou, comme nous dirions aujourd’hui, d’école professionnelle, établie à Maisons-Alfort, et complètement absorbée quelques années après par l’école vétérinaire qui d’abord n’en était qu’une partie, que Beaumarchais, selon Gudin[7], passa les quelques années consacrées à ses études assez élémentaires. Lui-même ne nous en a pas parlé. Le seul souvenir de son séjour dans cette maison, où, quelque temps après qu’il y eut passé, on ne vendait plus que « de bonnes médecines de cheval, » est « la lancette vétérinaire » de Figaro.

  1. Loménie, t. I, p. 355.
  2. Cité par M. de Marescot, dans sa curieuse notice sur Beaumarchais, en tête de son Théâtre, 1875, gr. in-8, p. 6, note.
  3. Lui-même, dans sa première lettre au Mercure, se donne comme ayant été « instruit dès l’âge de treize ans par son père, dans l’art de l’horlogerie. » Mercure, décembre 1753, p. 172.
  4. A. Jal, Dictionnaire critique, au mot Beaumarchais.
  5. V. la lettre de Gudin, à la fin de son édition des Œuvres de son ami, t. VII, p. 261.
  6. V. une très-curieuse lettre de ses dernières années, citée par M. de Loménie. t. II, p. 43.
  7. Fragment de sa notice inédite, citée par M. de Loménie, t. I, p. 66.