Ah, ah !
Tenez… moi qui allais vous apprendre ici les secrets de mon métier… Une femme bien discrète, en vérité ! ne voilà-t-il pas un billet doux qu’elle laisse tomber de sa poche ?
Donnez, donnez.
Dulciter, papa ! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe était tombée de la vôtre ?
Ah ! je sais ce que c’est, monsieur le soldat.
Sortez-vous enfin ?
Eh bien, je sors : adieu, docteur ; sans rancune. Un petit compliment, mon cœur : priez la mort de m’oublier encore quelques campagnes ; la vie ne m’a jamais été si chère.
Allez toujours ; si j’avais ce crédit-là sur la mort…
Sur la mort ? N’êtes-vous pas médecin ? vous faites tant de choses pour elle, qu’elle n’a rien à vous refuser.
Scène XV
Il est enfin parti. (À part.) Dissimulons.
Convenez pourtant, monsieur, qu’il est bien gai, ce jeune soldat ! À travers son ivresse, on voit qu’il ne manque ni d’esprit, ni d’une certaine éducation.
Heureux, m’amour, d’avoir pu nous en délivrer ! Mais n’es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu’il t’a remis ?
Quel papier ?
Celui qu’il a feint de ramasser pour te le faire accepter.
Bon ! c’est la lettre de mon cousin l’officier, qui était tombée de ma poche.
J’ai idée, moi, qu’il l’a tirée de la sienne.
Je l’ai très bien reconnue.
Qu’est-ce qu’il te coûte d’y regarder ?
Je ne sais pas seulement ce que j’en ai fait.
Tu l’as mise là.
Ah, ah ! par distraction.
Ah ! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie.
Si je ne le mets pas en colère, il n’y aura pas moyen de refuser.
Donne donc, mon cœur.
Mais, quelle idée avez-vous, en insistant, monsieur ? est-ce encore quelque méfiance ?
Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas la montrer ?
Je vous répète, monsieur, que ce papier n’est autre que la lettre de mon cousin, que vous m’avez rendue hier toute décachetée ; et puisqu’il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaît excessivement.
Je ne vous entends pas !
Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent ? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés ? Si c’est jalousie, elle m’insulte ; s’il s’agit de l’abus d’une autorité usurpée, j’en suis plus révoltée encore.
Comment, révoltée ! Vous ne m’avez jamais parlé ainsi.
Si je me suis modérée jusqu’à ce jour, ce n’était pas pour vous donner le droit de m’offenser impunément.
De quelle offense parlez-vous ?
C’est qu’il est inouï qu’on se permette d’ouvrir les lettres de quelqu’un.
De sa femme ?
Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d’une indignité qu’on ne fait à personne ?
Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui sans doute est une missive de quelque amant ; mais je le verrai, je vous assure.
Vous ne le verrez pas. Si vous m’approchez, je