Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bartholo, se baissant.

Ah, ah !

Le Comte la reprend et dit :

Tenez… moi qui allais vous apprendre ici les secrets de mon métier… Une femme bien discrète, en vérité ! ne voilà-t-il pas un billet doux qu’elle laisse tomber de sa poche ?

Bartholo.

Donnez, donnez.

Le Comte.

Dulciter, papa ! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe était tombée de la vôtre ?

Rosine avance la main.

Ah ! je sais ce que c’est, monsieur le soldat.

(Elle prend la lettre, qu’elle cache dans la petite poche de son tablier.)
Bartholo.

Sortez-vous enfin ?

Le Comte.

Eh bien, je sors : adieu, docteur ; sans rancune. Un petit compliment, mon cœur : priez la mort de m’oublier encore quelques campagnes ; la vie ne m’a jamais été si chère.

Bartholo.

Allez toujours ; si j’avais ce crédit-là sur la mort…

Le Comte.

Sur la mort ? N’êtes-vous pas médecin ? vous faites tant de choses pour elle, qu’elle n’a rien à vous refuser.

(Il sort.)



Scène XV

BARTHOLO, ROSINE.
Bartholo le regarde aller.

Il est enfin parti. (À part.) Dissimulons.

Rosine.

Convenez pourtant, monsieur, qu’il est bien gai, ce jeune soldat ! À travers son ivresse, on voit qu’il ne manque ni d’esprit, ni d’une certaine éducation.

Bartholo.

Heureux, m’amour, d’avoir pu nous en délivrer ! Mais n’es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu’il t’a remis ?

Rosine.

Quel papier ?

Bartholo.

Celui qu’il a feint de ramasser pour te le faire accepter.

Rosine.

Bon ! c’est la lettre de mon cousin l’officier, qui était tombée de ma poche.

Bartholo.

J’ai idée, moi, qu’il l’a tirée de la sienne.

Rosine.

Je l’ai très bien reconnue.

Bartholo.

Qu’est-ce qu’il te coûte d’y regarder ?

Rosine.

Je ne sais pas seulement ce que j’en ai fait.

Bartholo, montrant la pochette.

Tu l’as mise là.

Rosine.

Ah, ah ! par distraction.

Bartholo.

Ah ! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie.

Rosine, à part.

Si je ne le mets pas en colère, il n’y aura pas moyen de refuser.

Bartholo.

Donne donc, mon cœur.

Rosine.

Mais, quelle idée avez-vous, en insistant, monsieur ? est-ce encore quelque méfiance ?

Bartholo.

Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas la montrer ?

Rosine.

Je vous répète, monsieur, que ce papier n’est autre que la lettre de mon cousin, que vous m’avez rendue hier toute décachetée ; et puisqu’il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaît excessivement.

Bartholo.

Je ne vous entends pas !

Rosine.

Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent ? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés ? Si c’est jalousie, elle m’insulte ; s’il s’agit de l’abus d’une autorité usurpée, j’en suis plus révoltée encore.

Bartholo.

Comment, révoltée ! Vous ne m’avez jamais parlé ainsi.

Rosine.

Si je me suis modérée jusqu’à ce jour, ce n’était pas pour vous donner le droit de m’offenser impunément.

Bartholo.

De quelle offense parlez-vous ?

Rosine.

C’est qu’il est inouï qu’on se permette d’ouvrir les lettres de quelqu’un.

Bartholo.

De sa femme ?

Rosine.

Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d’une indignité qu’on ne fait à personne ?

Bartholo.

Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui sans doute est une missive de quelque amant ; mais je le verrai, je vous assure.

Rosine.

Vous ne le verrez pas. Si vous m’approchez, je