Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/178

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Et quand il fait sombre,
Les plus beaux chats sont gris.

(Il répète la reprise en dansant. Figaro, derrière lui, imite ses mouvements.)

Je ne suis point Tircis.

(Apercevant Figaro.)

Ah ! entrez, monsieur le barbier ; avancez : vous êtes charmant !

Figaro salue.

Monsieur, il est vrai que ma mère me l’a dit autrefois ; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là. (À part, au comte.) Bravo ! monseigneur.

(Pendant toute cette scène, le comte fait ce qu’il peut pour parler à Rosine ; mais l’œil inquiet et vigilant du tuteur l’en empêche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les acteurs étrangers au débat du docteur et de Figaro.)

Bartholo.

Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison ?

Figaro.

Monsieur, il n’est pas tous les jours fête ; mais, sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu’ils en ont besoin, mon zèle n’attend pas qu’on lui commande…

Bartholo.

Votre zèle n’attend pas ! Que direz-vous, monsieur le zélé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé ? et à l’autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle ! que leur direz-vous ?

Figaro.

Ce que je leur dirai ?

Bartholo.

Oui !

Figaro.

Je leur dirai… Eh ! parbleu, je dirai à celui qui éternue, Dieu vous bénisse ; et Va te coucher à celui qui bâille. Ce n’est pas cela, monsieur, qui grossira le mémoire.

Bartholo.

Vraiment non ; mais c’est la saignée et les médicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre. Est-ce par zèle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule ? et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue ?

Figaro.

S’il ne lui rend pas la vue, ce n’est pas cela non plus qui l’empêchera d’y voir.

Bartholo.

Que je le trouve sur le mémoire !… On n’est pas de cette extravagance-là.

Figaro.

Ma foi ! monsieur, les hommes n’ayant guère à choisir qu’entre la sottise et la folie, où je ne vois pas de profit, je veux au moins du plaisir ; et vive la joie ! Qui sait si le monde durera encore trois semaines ?

Bartholo.

Vous feriez bien mieux, monsieur le raisonneur, de me payer mes cent écus et les intérêts sans lanterner : je vous en avertis.

Figaro.

Doutez-vous de ma probité, monsieur ? Vos cent écus ! j’aimerais mieux vous les devoir toute ma vie que de les nier un seul instant.

Bartholo.

Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvé les bonbons que vous lui avez portés ?

Figaro.

Quels bonbons ? que voulez-vous dire ?

Bartholo.

Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier à lettre, ce matin.

Figaro.

Diable emporte si…

Rosine, l’interrompant.

Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, monsieur Figaro ? Je vous l’avais recommandé.

Figaro.

Ah, ah ! les bonbons de ce matin ? Que je suis bête, moi ! j’avais perdu tout cela de vue… Oh ! excellents, madame ! admirables !

Bartholo.

Excellents ! admirables ! Oui, sans doute, monsieur le barbier, revenez sur vos pas ! Vous faites là un joli métier, monsieur !

Figaro.

Qu’est-ce qu’il a donc, monsieur ?

Bartholo.

Et qui vous fera une belle réputation, monsieur !

Figaro.

Je la soutiendrai, monsieur.

Bartholo.

Dites que vous la supporterez, monsieur.

Figaro.

Comme il vous plaira, monsieur.

Bartholo.

Vous le prenez bien haut, monsieur ! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cède jamais.

Figaro lui tourne le dos.

Nous différons en cela, monsieur ; moi, je lui cède toujours.

Bartholo.

Hein ? qu’est-ce qu’il dit donc, bachelier ?

Figaro.

C’est que vous croyez avoir affaire à quelque barbier de village, et qui ne sait manier que le rasoir ? Apprenez, monsieur, que j’ai travaillé de la plume à Madrid, et que, sans les envieux…

Bartholo.

Eh ! que n’y restiez-vous, sans venir ici changer de profession ?

Figaro.

On fait comme on peut : mettez-vous à ma place.