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ACTE TROISIÈME


Le théâtre représente une salle du château appelée salle du trône, et servant de salle d’audience, ayant sur le côté une impériale en dais, et, dessous, le portrait du Roi.



Scène I

LE COMTE ; PÉDRILLE, en veste, botté, tenant un paquet cacheté.
Le Comte, vite.

M’as-tu bien entendu ?

Pédrille.

Excellence, oui.

(Il sort.)



Scène II

LE COMTE, seul, criant.

Pédrille ?



Scène III

LE COMTE, PÉDRILLE revient.
Pédrille.

Excellence ?

Le Comte.

On ne t’a pas vu ?

Pédrille.

Âme qui vive.

Le Comte.

Prenez le cheval barbe.

Pédrille.

Il est à la grille du potager, tout sellé.

Le Comte.

Ferme, d’un trait, jusqu’à Séville.

Pédrille.

Il n’y a que trois lieues, elles sont bonnes.

Le Comte.

En descendant, sachez si le page est arrivé.

Pédrille.

Dans l’hôtel ?

Le Comte.

Oui ; surtout depuis quel temps.

Pédrille.

J’entends.

Le Comte.

Remets-lui son brevet, et reviens vite.

Pédrille.

Et s’il n’y était pas ?

Le Comte.

Revenez plus vite, et m’en rendez compte. Allez.



Scène IV

LE COMTE, seul, marche en rêvant.

J’ai fait une gaucherie en éloignant Basile !… La colère n’est bonne à rien. — Ce billet remis par lui, qui m’avertit d’une entreprise sur la comtesse ; la camériste enfermée quand j’arrive ; la maîtresse affectée d’une terreur fausse ou vraie ; un homme qui saute par la fenêtre, et l’autre après qui avoue… ou qui prétend que c’est lui… Le fil m’échappe. Il y a là-dedans une obscurité… Des libertés chez mes vassaux, qu’importe à gens de cette étoffe ? Mais la comtesse ! si quelque insolent attentait… Où m’égaré-je ? En vérité, quand la tête se monte, l’imagination la mieux réglée devient folle comme un rêve ! — Elle s’amusait ; ces ris étouffés, cette joie mal éteinte ! — Elle se respecte ; et mon honneur… où diable on l’a placé ! De l’autre part, où suis-je ? Cette friponne de Suzanne a-t-elle trahi mon secret ?… Comme il n’est pas encore le sien !… Qui donc m’enchaîne à cette fantaisie ? j’ai voulu vingt fois y renoncer… Étrange effet de l’irrésolution ! si je la voulais sans débat, je la désirerais mille fois moins. — Ce Figaro se fait bien attendre ! il faut le sonder adroitement (Figaro paraît dans le fond, il s’arrête), et tâcher, dans la conversation que je vais avoir avec lui, de démêler d’une manière détournée s’il est instruit ou non de mon amour pour Suzanne.



Scène V

LE COMTE, FIGARO.
Figaro, à part.

Nous y voilà.

Le Comte.

… S’il en sait par elle un seul mot…

Figaro, à part.

Je m’en suis douté.

Le Comte.

… Je lui fais épouser la vieille.

Figaro, à part.

Les amours de monsieur Basile ?

Le Comte.

… Et voyons ce que nous ferons de la jeune.

Figaro, à part.

Ah ! ma femme, s’il vous plaît.

Le Comte se retourne.

Hein ? quoi ? qu’est-ce que c’est ?

Figaro s’avance.

Moi, qui me rends à vos ordres.

Le Comte.

Et pourquoi ces mots ?…

Figaro.

Je n’ai rien dit.

Le Comte répète.

Ma femme, s’il vous plaît ?

Figaro.

C’est… la fin d’une réponse que je faisais : Allez le dire à ma femme, s’il vous plaît.

Le Comte se promène.

Sa femme !… Je voudrais bien savoir quelle