Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/306

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ASTASIE, revenant à elle, aperçoit l’esclave renversé, qu’on enlève

Dieux ! quel spectacle a glacé mes esprits !

ATAR.

Je suis heureux : vous êtes ranimée.
Un lâche esclave, par ses cris,
M’alarmait sur ma bien-aimée ;
De son vil sang la terre est arrosée :
Un coup de poignard est le prix
De la frayeur qu’il m’a causée.

ASTASIE, joignant les mains.

Ô Tarare ! ô Brama ! Brama !

(Elle retombe ; on l’assied.)

ATAR.

Dans le sérail qu’on la transporte :
Que cent eunuques, à sa porte,
Attendent les ordres d’Irza.
C’est le doux nom qu’à ma belle j’impose ;
C’est mon Irza, plus fraîche que la rose
Que je tenais lorsqu’elle m’embrasa.

(Les esclaves noirs portent Astasie dans le sérail ; tous la suivent.)

SCÈNE VI

ATAR, CALPIGI, ALTAMORT, SPINETTE.

CALPIGI, au sultan.

Qui nommez-vous, seigneur, pour servir la sultane ?

ATAR.

Notre Spinette ; allez.

CALPIGI. L’adroite Européanne ?

ATAR. Elle-même.

CALPIGI. En effet, nul ici ne sait mieux Comment il faut réduire un cœur né scrupuleux.

SPINETTE, au roi. Oui, seigneur, je veux la réduire, Vous li rer son ca ur, et l’instruire Du respect, du retour qu’il !, doit à vos feux. trant Calpigi.) Et… si ce grand succès consterne Le chef… puissant qui non— gouverne, Mon maître apprécira le zèle de tous deux. irt. Je l’enchaîne à tes pieds, si tu remplis mes vœux. Spini tte et Ca’pigi i

SCÈNE VII URSON, ATAR, ALTAMORT. URSON. Seigneur, c’est ce guerrier, du peuple la met

ATAR. Garde-toi que son nom offense mon oreille !

URSON. Il pleure ; autour de lui tout le peuple em Dit tout haut qu’en ses vœux il doit être exaucé.

ATAR.

 Tu dis qu’il pleure, qu’il soupire ?

Urson.

Ses traits en sont presque effacés.

ATAR.

 Urson, qu’il entre : c’est assez.

(À Altamort.)

 Il est malheureux… Je respire.

(Urson sort.)

SCÈNE VIII TARARE. ALTAMORT. ATAR.

ATAR.

 Que me veux-tu, brave soldat ?

TARARE, avec un grand trouble.

Ô mon roi ! prends pitié de mon affreux état.
En pleine paix, un avare corsaire
Comble sur moi les horreurs de la guerre.
Tous mes jardins sont ravagés,
Mes esclaves sont égorgés ;
L’humble toit de mon Astasie
Est consumé par l’incendie…

ATAR.

Grâce au ciel, mes serments vont être dégagés !
Soldat qui m’as sauve la vie,
Reçois en pur don ce palais
Que dix mille esclaves malais
Ont construit d’ivoire et d’ébène,
Ce palais dont l’aspect riant
Domine la fertile plaine
Et la vaste mer d’Orient.
Là, cent femmes de Circassie,
Pleines d’attraits et de pudeur,
Attendront l’ordre de ton cœur,
Pour t’enivrer des trésors de l’Asie.
Puisse de ton bonheur l’envieux s’irriter !
Puisse l’infâme calomnie,
Pour te perdre, en vain s’agiter !

ALTAMORT, bas.

Mais, seigneur, ta hautesse oublie…

ATAR, bas.

Je l’élève, Altamort, pour le précipiter.

(Haut.)

 Allez, vizir, que l’on publie…

TARARE.

Ô mon roi : ta bonté doit se faire adorer.
Des maux du sort mon âme est pi u saisie ;
Mais celui de mon cœur ne peut se réparer :
Le barbare emmène astasie.

ATAR, avec un signe d’intelligence.

 Quelle est cette femme, Altamort ?

ALTAMORT.

Seigneur, si j’en crois son transport,
Quelque esclave jeune et jolie.

TARARE, indigné.

Une esclave ! une esclave ! Excuse, ô roi d’Ormus !
À ce nom odieux tous mes sens sont émus.