Vainement les ennemis se multiplient, et, au lieu d’être deux, le couple Goëzman, arrivent à être cinq : Marin, le gazetier, conciliateur hypocrite qui, sous prétexte d’arranger l’affaire, n’a voulu la faire tourner qu’au profit des Goëzman ; Bertrand d’Airolles, agioteur interlope, dont nous avons vu le rôle, et qui, sachant tout ce qui se passe, a l’air de ne vouloir connaître que ce qui importe au conseiller et à sa femme ; d’Arnaud Baculard, romancier « lacrymatoire », qui, gagné par Goëzman, fera de sa déposition contre Beaumarchais le plus mauvais, le plus faux de ses romans.
Notre homme a réponse à tout, servi d’ailleurs par la maladresse de ses adversaires dont il use avec une présence d’esprit toujours à l’attaque, une vaillance sans trouble, une habileté de moyens, une malice de dialectique, et une bonne humeur d’ironie merveilleuses : « Sous une imagination fougueuse, dit La Harpe[1], qui l’a fort bien étudié dans toutes ses ressources, il avait une âme forte, et un grand fond de logique avec un grand fond de gaieté. »
Que font contre cette habileté, si souple et si tenace en même temps, ces cinq affolés ? Ils aident Beaumarchais à les battre par leurs contradictions et leurs fautes. « Ils ont tort en tout, pour qu’il tire parti de tout[2]. » Ce sont des ennemis comme on en souhaite. Il a la bonne grâce d’en convenir tout le premier, dans l’étonnant exorde de son dernier mémoire, le plus étincelant des cinq, où, après s’être mis en scène avec la verve qu’il retrouvera pour le monologue de Figaro, il remercie Dieu, puisqu’il lui fallait des ennemis, de les lui avoir envoyés tels que ceux-là.
Il n’est rien qui ne lui soit bon pour mettre les rieurs de son côté. Marin s’est-il moqué du nom du pauvre avocat, Me Malbête, le seul que Beaumarchais ait trouvé pour signer son Mémoire comme l’exige la loi ; il lui retourne de la plus plaisante façon ce nom dont il se moque : « Le gazetier de France, dit-il, se plaint de la fausseté des calomnies répandues dans un libelle signé Beaumarchais-Malbête, et il entreprend de se justifier par un petit manifeste signé Marin, qui n’est pas Malbête. »
Goëzman et ses amis du parlement ne l’aident pas moins en des circonstances plus sérieuses. Le président de Nicolaï, un de ses juges qui a gardé sous la simarre sa brutalité de colonel de cavalerie[3] et que le succès de Beaumarchais contre son protégé Goëzman met en fureur, n’a-t-il pas, un matin que dans la salle des pas perdus Beaumarchais le regarde passer à la tête de sa compagnie, eu la sottise de voir dans sa présence une bravade, une insulte ? et, chose plus grave, l’imprudence d’ordonner aux huissiers de le faire sortir ? Beaumarchais, qui n’a pas été insulteur, devient alors insulté. S’autorisant de l’indignation du public témoin de l’offense, il monte au parquet déposer sa plainte aux gens du roi, forcés de l’accueillir. Sur une invitation du premier président il la retire bientôt, mais il obtient, par l’espèce de pardon qu’il semble ainsi accorder à son juge, lui l’accusé, une de ses meilleures fortunes d’éloquence et d’ironie.
Avec Goëzman il gagne mieux encore un autre coup de la grande partie. Ayant un peu fouillé dans la vie de ce conseiller si expert à remuer la sienne, il y découvre une escapade galante enjolivée d’un faux que le grave magistrat s’est permis à la paroisse de Saint-Paul. Certain soir, étant parrain dans le monde des petites gens, où sans se faire connaître il s’est donné une amie à la sourdine, il a signé sur le registre un autre nom que le sien. Beaumarchais, qui a surpris toute l’histoire, la raconte sans rien passer, avec la plus impitoyable malice, donne les preuves, obtient ainsi que Goëzman, décrété d’ajour-