Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/405

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après une chimère et veut entraîner un (grand) innocent dans l’abîme où sa haine va le plonger. — Entendez-vous par là que le sieur de Beaumarchais ne vous ait pas remis les deux effets qu’il redemande ? — (P. 10.) Il n’a connu ni la honte ni les périls des moyens dont il se servait ; et sa méchanceté a ressemblé au tonnerre, qui ne cesse d’être à craindre que lorsqu’il est tombé. — Oui ; mais tout cela ne nous apprend pas si vous avez ou non les deux effets de cent louis. — (P. 13.) Le plus lâche des hommes ose, avec un front d’airain, attaquer et mon cœur, et mon esprit, et mon âme… Il assure avec impudence des faits faux et défigurés. — Quoi ! monsieur, vous niez que vous ayez les deux effets de cent louis ? — (P. 11.) Comment juge-t-on des motifs des hommes ? par leurs actions. — (P. 17.) Prenez le flambeau de la haine et portez-le dans tous les replis de ma vie, je vous défie de me trouver en défaut. — Il n’est ici besoin de haine ni de flambeau pour prouver que vous retenez deux effets de cent louis qui ne vous appartiennent pas. — (P. 9.) Est-ce là la marche de l’innocence ? agit-elle ainsi par des souterrains et des détours, et se permet-elle d’aussi bas artifices ? — (Et p. 15.) La vérité n’a-t-elle pas toujours présidé à tout ce que j’ai dit ? la probité, à tout ce que j’ai fait ? — Mais il n’y a pas plus de vérité à nier des billets au porteur, quand on les a reçus, qu’il n’y a de probité à les garder. — (P. 17.) Ainsi les méchants rejettent sur le compte d’un homme de bien les perfidies dont ils se rendent coupables. — Vous voudriez faire croire à ces messieurs que je ne les ai pas remis ? Quel homme êtes-vous donc ? — (P. 17.) Me voici, en peu de mots, tel que je suis. Je m’abandonne à la pente naturelle de mon caractère ; la droiture en est la base… et je sais que la candeur de mon âme est incorruptible.

Alors le sieur Mention, se fâchant tout de bon, rappelant tous les faits et discours relatifs à la remise des deux effets, lui dit : C’est moi-même qui vous les ai portés chez vous ; et si vous les niez, je vous accuse en mon nom d’en imposer à la justice. — (P. 13.) Les magistrats que vous outragez, par l’audace avec laquelle vous comptez sur leur indulgence, respectent les lois, les mœurs, l’intérêt public ; ils puniront le calomniateur. — Calomniateur vous-même ; et je sais bien le moyen de vous forcer à nous rendre nos deux effets de cent louis. — (P. 16.) Écoutez, monsieur, votre façon de penser est celle d’un homme qui ne connaît pas le prix de la candeur, de l’honnêteté et de la pudeur ; de cette pureté, de cette innocence, de cette droiture d’intention enfin qui, toutes réunies, forment un si bel ensemble, qu’il ne peut s’exprimer que par le mot de vertu : ainsi ce que vous dites ne me fait aucune sensation.

Alors Me Gornaut, procureur du sieur Bertrand, prenant la parole, dit tout haut : Messieurs, mon client embrouille les choses fort mal à propos ; j’ai les deux billets au porteur, appartenant au sieur de Beaumarchais, qui m’ont été remis par ledit sieur Bertrand ; et j’offre de les rendre à l’instant, si l’on me paye les frais de poursuites que j’ai faites sur ces billets contre leur débiteur, au nom et par ordre dudit sieur Bertrand. — Mais pourquoi donc, dit le sieur Mention, les a-t-il niés si crûment, si malhonnêtement, dans son dernier mémoire ? — Messieurs, reprit Bertrand, je ne les ai pas niés tout à fait dans ce mémoire ; il est vrai que je me suis écrié sur leur demande (p. 18) : Peut-on pousser l’impudence plus loin ! Mais ce n’est pas là une négation formelle ; et si vous vous donnez la peine de lire vous-mêmes, messieurs, vous verrez que non-seulement ma réponse est équivoque, mais encore amphigourique.

Voici l’équivoque : Peut-on pousser l’impudence plus loin ! le cœur serré par la seule inspection de ces lignes, je suis forcé à en détourner les yeux pour conserver la présence d’esprit nécessaire à la continuation de mon récit.

Voici l’amphigouri : Ô vérité ! tout se tait à ton nom ; je n’entends que ta voix : c’est une satisfaction, une sérénité dont l’âme jouit après l’avoir prononcée. Sauve-moi, pendant le cours de ma vie, les occasions de feindre et de dissimuler… Il me semble qu’on ne peut pas être malheureux lorsqu’on a toujours été vrai. — Vous avez raison, cela est très-amphigourique ; mais tout le monde n’en a pas moins cru qu’une pareille logomachie était un démenti formel donné par un esprit tortu, mais compagnon d’un cœur droit et indigné. Pourquoi donc avez-vous induit le public en erreur sur ce fait important ? — (P. 17.) Messieurs, j’ai cru que tous les hommes aimaient le bien, qu’ils ne se défiaient point du mal, et qu’ils ne soupçonnaient jamais le vice. — Mais si la demande juridique n’eût pas été appuyée de preuves testimoniales aussi fortes, le sieur de Beaumarchais n’ayant pas de reconnaissance de vous, non-seulement on croirait encore que je ne vous avais pas remis les deux effets de cent louis, mais il y a grande apparence que vous les auriez gardés, puisque vous avez laissé prendre deux défauts avant de répondre à la demande qu’il vous en faisait juridiquement. — (P. 17.) Je sais, messieurs, que je ne suis pas exempt de faiblesses ; mais jamais je ne serai ni fourbe, ni faux, ni vicieux ; et puisque je suis convaincu devant la justice, par mon procureur même, d’avoir reçu les deux billets au porteur, je vais les rendre, en faisant mes petites réserves pour les petites sommes, petits frais, petits courtages, et autres menus gains qui peuvent m’être dus par le sieur de Beaumarchais. Et à l’instant est sorti le jugement dont voici l’extrait :

« Les juges et consuls, etc., salut… Savoir faisons qu’entre le sieur Caron de Beaumarchais, etc., demandeur et comparant par Benoist, fondé de procuration, et assisté de Jacques-Pierre Mention, d’une part ; et le sieur Bertrand Dairolles, etc., défendeur et comparant en personne, de l’autre. Par le demandeur (Beaumarchais) a été dit qu’il aurait fait assigner le défendeur à comparoir, etc.,