Deux chiens, dit-on, naquirent d’une même lice, et furent nommés César. En grandissant, l’un devint chasseur valeureux, élancé, giboyant, guerroyant, et retint le nom de César par excellence. L’autre, écourté, trapu, fidèle au garde-manger, toujours sale, aboyant, écorniflant, avalant ; et notre maître Lafontaine nous apprend que ce César de chien fut surnommé Laridon par les cuisiniers. Ainsi le second de Bertrand le duelliste s’appelle Donnadieu de Nopprat, pour le distinguer du Donnadieu par excellence.
Mais ce cartel m’a moins étonné qu’il ne m’a réjoui : je m’y attendais. Madame Goëzman, dans la première page de son supplément, chaussant l’éperon, passant le baudrier de son suisse au sacristain, et lui donnant l’accolade, en avait fait son chevalier Bertrand. Un bras vigoureux, disait-elle en me menaçant, vient d’arracher son masque, un homme vient de déchirer le voile. Je me repose sur son courage… Et enfin elle nous apprend que ce chevalier de bal, qui arrache des masques et déchire des voiles, est le sieur Dairolles. Étonnez-vous, après cela, de le voir, le jour du décret du mari, prendre pour devise : Comprehensus est peccator, porter les couleurs de sa dame, imprimer le placard et jeter la mitaine !
Si tout cartel imprimé n’était pas une lâche forfanterie, et si lâche que le parlement, qui a lu comme moi celui du cousin, n’a pas seulement daigné charger le ministère public d’en informer ; si lâche, que M. le procureur général a bien voulu me faire la grâce de ne mettre aucune importance à cette Bertrandade renforcée ; si ce cartel, dis-je, eût mérité quelque réponse, voici quelle eût été la mienne : Quand un guerrier a le courage de sauter seul à bord d’une galère pleine de chevaliers, ce n’est pas pour s’amuser à faire le coup de poing avec les lépreux de la chiourme. De même ici, me trouvant en tête une foule d’ennemis croisés, fourrés, dignitaires ; ayant le choix des combattants, irai-je exprès me commettre avec les argousins de la troupe, ou brûler une amorce de préférence avec le sacristain de la compagnie, tant en son nom que comme trompette de Marin-la-Gazette, et chevalier de la dame aux quinze louis ?
Mais de quoi s’agit-il enfin ? car il faut faire justice à tout le monde.
Dans mon troisième mémoire j’avais répondu (p. 41) à la demande de quelques avances que le sieur Bertrand avait malhonnêtement réclamées : « Vous avez depuis un an à moi deux effets de cent louis chacun, vous vous payerez dessus, etc. »
Le sieur Bertrand, faisant de l’indigné dans son supplément, commence par nier mes deux effets de cent louis, en répondant (page 8) : Peut-on pousser l’impudence plus loin ? le cœur serré par l’inspection de ces lignes, etc. Sa réponse est fort longue, on y reviendra : puis, soutenant sa dénégation de la provocation la plus généreuse, il rappelle la page 50 de mon second mémoire, où j’ai dit :
Si la haine qui me poursuit a quelquefois altéré mon caractère, que celui que j’ai pu offenser dise de moi que je suis un homme malhonnête, j’y consens ; mais qu’il ne dise pas que je suis un malhonnête homme ! car je jure que je le prendrai à partie si je puis le découvrir, et le forcerai par la voie la plus courte à prouver son dire ou à se rétracter publiquement. À quoi il répond sans hésiter, page dernière : Eh bien ! M. de Beaumarchais, vous êtes un homme malhonnête et un malhonnête homme, et certainement vous ne prendrez pas la voie la plus courte. — Eh ! pourquoi donc, cousin, ne la prendrais-je pas ? C’est pourtant ce que je vais faire à l’instant.
Il est vrai que, pour forcer Bertrand l’honnête homme à se rétracter, je n’ai pas fait battre la caisse à sa porte pour effets égarés, comme un gaillard ressentiment eût pu me l’inspirer. Il est vrai que je n’ai pas dénoncé le cartel de Bertrand le généreux au ministère public, comme beaucoup d’honnêtes gens, qui ne voient pas si clair que moi dans mes affaires, s’empressaient de me le conseiller. Il est encore vrai que je n’ai pas sanglé un coup d’épée dans la cuisse à Bertrand le vaillant, faute d’avoir trouvé chez lui du cœur à percer, comme quelques plaisants l’ont répandu dans le monde. Mais il n’en a pas marché plus roide un instant pour cela : car dès le lendemain, prenant pour héraut d’armes le brave huissier qui défend mes meubles, j’ai fait sommer à mon tour le capitan, par un cartel timbré, de se rendre en champ clos dans la salle des consuls de Paris, où maître Benoist, mon procureur, et le sieur Mention, qui lui avait remis mes deux effets de cent louis, il y a plus d’un an, l’ont vainement attendu deux jours de suite.
En ennemi prudent, le chevalier Bertrand a laissé prendre deux défauts contre lui ; mais au troisième cartel, sentant bien que faute de répondre on allait le condamner à me payer la somme de deux cents louis, il est venu enfin aux consuls en haute personne ; et là, le sieur Mention ayant réclamé les deux effets de cent louis qu’il lui avait remis de ma part, en tel temps, pour en poursuivre le payement, et maître Benoist l’ayant sommé de déclarer s’il convenait avoir reçu lesdits effets, ou s’il persistait à les nier comme il l’avait fait dans son mémoire ; alors, de ce ton de confrérie avec lequel, en mentant le jour de son interrogatoire aux pieds de la cour, il avait pris le ciel et le crucifix à témoin de la vérité de ses discours, emporté par l’enthousiasme de sa dernière production, il dit (page 1re de son supplément) : Ennemi du mensonge et de l’artifice… puissent ma candeur et ma sincérité me faire des protecteurs de mes juges ! — P. 8.) Qu’un homme de bien est malheureux d’être livré à la fureur d’un pervers ! Mais les deux cents louis de M. de Beaumarchais ? — (P. 9.) Un homme audacieux marche à la lueur d’un flambeau qui l’égare, il court