Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/428

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tions, jusqu’à ce que je vous aie vu, ou ici, si vous revenez promptement, ou à Madrid, où je retournerai le 1 2.

« J’ai l’honneur d’être avec une parfaite considération, monsieur, votre, etc.

i Signé Osscn. »

Cette nouvelle fut un coup de foudre pour moi. Quoi ! cet homme qui depuis quinze jours me pressait dans ses bras, ce monstre qui m’avait écrit dix lettres pleines de tendresse, m’avait sollicité publiquement de lui donner ma sœur, était venu dix fois manger chez elle à la face de tout Madrid ; il avait fait une plainte au criminel contre moi pour cause de violence, et me poursuivait sourdement ! Je ne me connaissais plus. L’n officier des cardes wallonnes entre à l’instant et me dit : e Monsieur de Beaumarchais, vous n’avez pas un moment à perdre : sauvez-vous, ou demain matin vous serez arrêté dans votre lit ; l’ordre est donné ; je viens vous en prévenir. Votre homme est un monstre ; il a soulevé contre vous tous les esprits, et vous a conduit de promesses en promesses pour se rendre votre accusateur public. Fuyez, fuyez à l’instant : ou, renfermé dans un cachot, vous n’avez plus ni protection ni défense.

•• •— Moi, fuir ! me sauver ! plutôt périr ! Ne me parlez plus, mes amis ; ayez-moi seulement une voiture de route à six mules, pour demain quatre heures du matin, et laissez-moi me recueillir jusqu’à mon départ pour Aranjuez. » Je me renfermai : j’avais l’esprit troublé, le cœur dans un étau ; rien ne pouvait calmer cette agitation. Je me jetai dans un fauteuil, où je restai près de deux heures dans un vide absolu d’idées et de résolutions.

Ce repos fatigant m’ayant enfin rendu à moi-même, je me rappelai que cet homme, depuis la date de sa plainte pour fait de violence, s’était promené publiquement avec moi dans mon carrosse, m’avait écrit dix lettres tendres, m’avait chargé spécialement de sa demande auprès du ministre devant vingt personnes. Je me jette à mon bureau ; j’y broche, avec toute la rapidité d’un homme en pleine fièvre, le journal exact de ma conduite depuis mon arrivée à Madrid : noms, dates, discours, tout se peint à ma mémoire, tout est fixé sous ma plume. J’écrivais encore à cinq heures du matin, lorsqu’on m’avertit que ma voiture m’attend, et que l’inquiétude de mes amis ne leur permet pas de me laisser plus longtemps à moi-même. Je monte en carrosse sans m’informer si quelqu’un me suit, sans savoir si j’étais présentable : une espèce d’ivresse me rendait sourd à tout ce qui n’était pas ne bjel ; mais on avait pourvu, sans me le dire, au nécessaire de mon voyage. Quelques amis m’offrent de m’accompagner. « Je veux être seul, leur dis-je : je n’ai pas trop de douze heures de solitude pour calmer mes sens. » Et je partis pour Aranjuez.

M. l’ambassadeur était au palais quand j’arrivai au Sitio lu/h }•■ ne le vis qu’à onze heures du soir, à son retour, v Vous avez bien fait de venir sur-le-champ, me dit-il ; je n’étais rien moins que tranquille sur vous : depuis quinze jours votre homme a gagné toutes les avenues du palais. Sans moi, vous étiez perdu, arrêté, et peut-être conduit au cPresidio’. J’ai couru chez M. de Grimaldi ; Je réponds (lui ai-je dit) de la sagesse et de la bonne conduite de M. de Beaumarchais en toute cette affaire, comme de la mienne propre. C’est un homme d’honneur, qui n’a fait que ce que vous et moi eussions fait à sa place : je l’ai suivi depuis son arrivée. Faites retirer l’ordre de l’arrêter, je vous prie : ceci est le comble de l’atrocité de la part de son adversaire. » — Je vous crois, m’a répondu M. de Grimaldi, mais je ne suis le maître que de suspendre un moment : tout le monde est armé contre lui : qu’il parte à l’instant pour la France, on fermera les yeux sur sa fuite.

i’Ainsi, monsieur, partez, il n’y a pas un moment à perdre ; on vous enverra vos effets en France : vous avez six mules à vos ordres. À tout prix, des demain matin reprenez la route de France : je ne pourrais vous servir contre le soulèvement général, contre des ordres si précis, et je serais désolé qu’il vous arrivât malheur en ce pays : partez. »

En l’écoutant je ne pleurais pas, mais par intervalle il me tombait des yeux de grosses gouttes d’eau que le resserrement universel y amassait. J’étais stupide et muet. M. l’ambassadeur, attendri, plein < ! bonté, prévenant toutes mes objections par l’aveu libre et liane que j’avais raison, ne m’en disait pas moins qu’il fallait céder à la nécessite et fuir un malheur certain. Et de quoi me punirait-on, monsieur, puisque vous-même convenez que j’ai raison sur tous les points ? Le roi fera-t-il arrêter un homme innocent et grièvement outragé ? Comment imaginer que celui qui peut tout préférera le mal quand il connaît le bien ? — « Eh ! monsieur, l’ordre du roi s’obtient, s’exécute, et le mal est fait avant qu’on soit détrompé. Les rois sont justes, mais on intrigue autour il eux —au.— qu’ils le sachent ; et de vils intérêts, des ressentiments qu’on n’ose avouer, n’en sont pas moins souvent la source de tout le mal qui se lait. Partez, monsieur : une fois arrêté, personne ici ne prenant intérêt à vous, on finirait par conclure que, puisqu’on vous punit, il se peut que vous ayez tort ; et, bientôt d’autres événements feraient oublier le vôtre : car la légèreté du public est partout un des plus fermes appuis de l’injustice. Foriez, .11 <li--jo, parte/., n — Mais, monsieur, dans . Prison perpétuelle à Oran ou Ceuta, sur les côtes d’Afrique.