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VIE DE BEAUMARCHAIS.

cela « la vierge Target, » de même qu’il s’appelle, lui, « le martyr Beaumarchais, » la gagne aux applaudissements d’une foule énorme, qui reconduit Beaumarchais en triomphe jusqu’à sa voiture. Il est réhabilité ! Il va pouvoir être, dit-on partout, un homme de marque dans les plus grosses affaires, peut-être banquier de la cour[1] ! Lui-même n’y contredit pas, il aide, qui plus est, à en faire courir le bruit[2].

Sa tenue a, d’ailleurs, été parfaite à l’audience, où il est venu tout de noir vêtu, tout confit en modestie, presque en humilité, mais sans toutefois oublier de faire, de temps en temps, briller à son doigt, par mégarde, le bijou de l’impératrice-reine[3], ce fameux diamant dont il sait trop l’histoire, et qui prouve qu’à de certaines époques, et sous de certains ministres, on peut se faire rendre l’honneur pour des services où, en d’autres temps, sous un autre régime, on l’aurait singulièrement compromis.

Il a trop d’esprit pour n’en pas avoir conscience. Réhabilité par la justice, qu’il sait bien s’être un peu trompée, en lui tenant compte des actes rappelés dans les lettres du roi, il ne demandera ensuite qu’à lui-même, pour des services honorables et réels, cette fois, mais dont on ne lui a peut-être plus assez tenu compte, sa réhabilitation véritable.

Laissons-le en finir avec ce qui reste de ses anciens procès, avec celui, par exemple, qui fut le premier et qui pourtant ne se terminera que le dernier ; ce procès, gagné en appel par M. de la Blache, dont le jugement, cassé à la fin de 1775, est renvoyé beaucoup plus tard, en juillet 1778, devant le Parlement d’Aix, où Beaumarchais, après deux nouveaux mémoires : la Réponse ingénue — il veut dire très-audacieuse — et le Tartare à la légion, qui n’a pas moins d’audace, obtient définitivement gain de cause sans autres restrictions que la suppression de ses nouveaux Mémoires, et une amende de mille écus, dont il donne le double, sachant qu’elle doit aller en aumône aux hôpitaux ; et, ainsi libéré de son passé, nous ne le trouverons plus de longtemps que tout entier aux entreprises qui lui ont fait le plus d’honneur, et qui peuvent lui en faire pardonner bien d’autres : son affaire avec les comédiens, où il posera les premières bases de la société des auteurs dramatiques, et le premier vrai principe de leurs droits sur les recettes ; sa coopération dans la guerre de l’Indépendance, qui fit de lui un des libérateurs de l’Amérique, un des créateurs des États-Unis ; la fondation de la Caisse d’escompte, et enfin ce grand établissement du fort de Kehl, d’où, si l’on excepte les publications des Bénédictins, devait sortir le plus formidable ensemble de volumes que l’imprimerie eût encore enfanté, la première édition des Œuvres complètes de Voltaire.

Avec les comédiens, il commença par une discussion personnelle à propos de ses droits d’auteur sur le Barbier, joué, nous l’avons vu, en février 1775. Il n’avait rien demandé pour son drame d’Eugénie, il n’avait pas chicané pour celui des Deux Amis. Le Barbier réussissant mieux, il voulut voir plus clair : « Je fis, dit-il, bon marché de ma gloire aux journalistes ; je me contentai de demander un compte exact aux comédiens[4]. »

C’est à la trente-deuxième représentation qu’il réclama ce compte. Des Essarts, qui avait été dans la robe, et se trouvait ainsi un des plus ferrés de la troupe, lui apporta 4,506 livres pour ces trente-deux représentations, mais sans l’ombre d’un compte à l’appui, ce qui fit que Beaumarchais, à qui ce compte importait beaucoup, refusa la somme. Elle fut rapportée le lendemain avec un bordereau, mais qui n’était pas signé, et

  1. Mémoires secrets, t. IX, p. 247.
  2. Il faisait dire surtout volontiers qu’il allait créer des bureaux pour la conversion en écus de certaine monnaie d’Espagne les piastres gourdes, qui avaient fait la fortune de son ami Laborde. (Corresp. secrète inédite, publiée par Lescure, t. II, p. 247.)
  3. Mémoires secrets, t. IX, p. 209.
  4. V. plus bas, dans les Œuvres, le Compte rendu de l’affaire des auteurs dramatiques et des comédiens français.