ne contenait aucun détail ; Beaumarchais refusa encore. Il avait deviné pourquoi le détail manquait : ni le produit des petites loges, ni celui de l’abonnement, n’avaient été compris dans ce qu’on lui envoyait. Ce bordereau n’était, comme on le lui avoua, qu’une « cote mal taillée ». Il voulut d’autant moins en entendre parler. Un compte bien en règle, où figurerait, au prorata, tout ce qui constituait la recette, était seulement ce qu’il était résolu d’accepter.
Les ducs de Duras et de Richelieu, chargés tour à tour de la Comédie, comme gentilshommes de la chambre, qui, pour la première fois, trouvaient en lui l’homme qu’il fallait pour le règlement de ces intérêts, dont ils s’étaient souvent inquiétés, c’est-à-dire un homme de lettres doublé d’un homme d’affaires, le soutenaient dans ses réclamations[1] qui mirent beaucoup de temps, nous le verrons, à se faire entendre. Il voulut une autre aide encore qui devait, croyait-il, lui venir naturellement sans l’abandonner jamais, celle de ses confrères du théâtre. Il les réunit donc à dîner chez lui, le 3 juillet 1777, au nombre de vingt-trois, dont deux de l’Académie, Marmontel et Saurin, et au dessert, « le premier bureau dramatique », dont on le nomma président perpétuel, avec les deux académiciens pour adjoints, fut constitué.
À la Comédie on agissait aussi. Les comédiennes circonvenaient les gentilshommes de la chambre et leur monde, avec des moyens d’attraction qui rencontraient peu de résistance ; et les comédiens, de leur côté, se prenaient, chez les auteurs, à ce qu’ils ont de moins inexpugnable : l’amour-propre. Ils jouaient les pièces de Rochon de Chabannes à la place du Barbier qui, à partir de la demande de compte faite par Beaumarchais, ne reparut plus sur leur affiche pendant neuf grands mois ; ils reprenaient une tragédie de Lemierre, et ils jouaient le Nadir du très-inconnu Dubuisson. Lemierre alors et Rochon se détachaient du bureau dramatique, et Dubuisson, en publiant sa pièce, y joignait une préface-pamphlet, où la coalition et surtout Beaumarchais, son chef, étaient des plus malmenés[2].
Gerbier, que le théâtre avait pris pour avocat, sentant ce qu’il y avait d’éléments de dissolution chez ses adversaires, faisait d’ailleurs, de son mieux, traîner l’affaire ; il gagnait tout en gagnant du temps. Beaumarchais, et ceux qui lui restaient fidèles, voulaient un règlement nouveau entre auteurs et comédiens, où les droits des premiers seraient plus sérieusement reconnus et réglés, que les gentilshommes de la chambre, puis le conseil du roi, accepteraient, et qui serait ensuite, pour avoir force de loi, enregistré par le Parlement. Au bout de cinq ans, après force débats et force mémoires, dont les meilleurs furent le Compte rendu de Beaumarchais et son Rapport, qui se trouveront plus loin dans les Œuvres, on faillit enfin s’entendre ; il y eut transaction d’un accord commun. Tout le monde, auteurs et acteurs, vint, un jour du mois d’avril 1780, dîner chez Beaumarchais, mais, le lendemain, on s’aperçut que la fameuse transaction, si bien fêtée, n’était qu’une duperie pour l’amphitryon et les siens. Gerbier l’avait retournée toute au profit des acteurs, et Beaumarchais en était pour ses espérances et son dîner. Par bonheur elle n’était pas signée ; il obtint qu’on la réviserait de nouveau. Le 9 décembre suivant elle put ainsi devenir un règlement définitif, où les comédiens retenaient beaucoup, mais où les auteurs aussi obtenaient quelque chose : leurs droits désormais devraient être perçus sur tous les éléments de la recette : loges louées, grandes ou petites, abonnements, etc. C’est ce qu’avait surtout désiré Beaumarchais.
Il ne s’en tint pas là. Si le bureau dramatique, qui siégeait au Louvre chez Sedaine[3], et dont l’Assemblée nationale prit utilement l’avis pour son décret du 13 janvier 1791, qui