écrits lui eussent passé sous les yeux longtemps avant qu’il fût question de ce procès entre nous.
D’après ce que vous venez de lire, ô défenseurs du comte de la Blache, jugez de quel mérite est à mes yeux votre grave commentaire (pages 46 et 47) sur le dernier alinéa de ma lettre du 22 septembre 1769, où vous m’accablez du poids de votre sainte colère : la tirade est trop curieuse pour n’en pas régaler le lecteur.
« Enfin, l’indécence de la dernière partie de la lettre est tellement révoltante, qu’elle suffira pour porter la conviction, dans tous les cœurs honnêtes, que la lettre n’a point été faite pour parvenir à M. Duverney. Dans son billet, celui-ci mandait : J’ai remis le billet doux à sa destination : le monde m’a empêché de le faire lire ; on l’a mis dans la poche, et on a promis réponse dans deux jours. Il est sensible qu’un billet doux envoyé à M. Duverney, pour le faire lire à quelqu’un, ne pouvait être que pour une personne dont le sieur de Beaumarchais sollicitait la protection : mais comme il était essentiel à son roman de supposer entre lui et M. Duverney la plus grande familiarité, il s’est porté à l’excès de mettre dans sa lettre : Ci-joint un billet doux, vous m’entendez ? Lisez, mon ami, et dites que je ne suis pas un amant attentif. Aussitôt arrivé, mes premiers vœux sont pour les plaisirs de la petite, etc… »
Ici finit ma citation. Sublimes commentateurs ! qui vous êtes creusé si gratuitement le cerveau pour nous donner en consultation un chef-d’œuvre aussi long que celui d’un inconnu, quoique moins bon, puisqu’il faut tout dire, n’êtes-vous pas un peu honteux d’avoir été, comme des étourneaux, donner dans le piége ridicule que le seigneur ON vous a tendu sur ce commerce familier ? Vous lavera-t-il de la honte d’avoir été si grossièrement sa dupe, et d’avoir insulté un honnête homme à plaisir, sur sa périlleuse parole ?
Comment ne vous est-il pas venu à l’esprit, en voyant dans la réponse de M. Duverney, du 22 septembre 1769, le mot étrange de billet doux écrit de sa main, que le jeune Beaumarchais, n’ayant pu conduire la plume du vieillard Duverney lorsqu’il répondait, puisque celui-ci consentait à puiser dans la lettre de l’autre l’expression figurée de billet doux, par laquelle j’avais désigné la lettre jointe à la mienne, il fallait pourtant bien que cette expression follette, orientale, eût un sens mystérieux ! Mais surtout comment n’y avez-vous pas reconnu la trace de la douce familiarité annoncée entre les deux amis, puisque le plus âgé ne dédaignait pas, en répondant, d’user des mêmes tournures badines employées par le plus jeune ? Comment n’avez-vous pas vu cela ? J’en suis désolé ! Je vous croyais plus forts d’intelligence et de conception.
Maintenant que vous en savez autant que moi sur la nature de ce commerce familier, je reprends ma question, et vous donne à mon tour un long temps pour y répondre. Qui dites-vous de votre ennuyeux commentaire de cinquante-huit pages sur l’acte du 1er avril, et sur les lettres qui l’accompagnent ? N’en êtes-vous pas un peu honteux ?
Mais si le tort de ces illusions, de ces insinuations, est tout au comte de la Blache, un artifice qui vous appartient en entier, et qu’on ne peut excuser en des gens honnêtes, comme ceux dont j’aperçois les signatures au bas de la consultation, c’est, en citant, en rapportant nos lettres familières, d’avoir toujours affecté, pour tromper le lecteur, de commencer par donner les réponses de M. Duverney comme écrites les premières, et de n’avoir jamais cité qu’après elles mes lettres, qui, dans l’ordre naturel de leur style, semblent au moins avoir été dictées avant les siennes. Vous êtes-vous flattés qu’un artifice aussi niais et puéril tromperait quelqu’un ?
Voyez vous-mêmes la pitoyable figure que vous faites dans votre consultation (page 48), en nous donnant pour un billet écrit le premier cette réponse de M. Duverney : « Il faut se voir avant de rien ordonner. Le temps est trop court. » Et celui-ci, de moi, comme écrit en second :
« Puisque mon bon ami craint d’employer son notaire, à cause de ses malheureux entours, je vais commander l’acte au mien : s’il l’approuve, il sera fait demain au soir, et on lui portera tout de suite à signer, etc… » Le billet : « Il faut se voir avant de rien ordonner. Le temps est trop court. » ne serait-il pas bien inintelligible, s’il n’eût été précédé d’un autre auquel il répond ? et n’est-il pas, au contraire, la réponse naturelle d’un homme qui veut examiner encore, et surtout insister en conversant sur son éloignement pour un notaire ? Voilà ce que je ne puis vous pardonner, en ce que cela est partial et de mauvaise foi.
Ici l’avocat-commentaire ajoute (page 49) : De plus, ces mots : avant de rien ordonner, ne peuvent pas se rapporter à un compte. » — Vous avez raison, seigneur licencié ! Mais ils se rapportent fort bien à un acte qu’on veut commander à un notaire.
« Par quelle raison, ajoute encore le licencié, M. Duverney aurait-il craint son notaire ? » (Page 49, à la suite.) — Il l’aurait craint, bachelier, par des raisons que j’expliquerai plus loin, en mettant au jour les ruses du comte de la Blache ; et je vous promets de n’y pas oublier ce qui paraît vous agiter en ce moment.
Et cette autre réponse de M. Duverney à mon billet du 6 mai 1770, n’a-t-elle pas bonne mine à être citée par vous comme première lettre ? Je ne le puis, par des raisons que je vous dirai. Je ne le puis… quoi ? l’on avait donc demandé quelque chose ? Et si M. Duverney ne pouvait remettre encore au porteur les contrats reçus ou billets sollicités dans ma missive du même jour, sa réponse