Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/484

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n’était-elle pas aussi simple que naturelle ? Je ne le puis, par des raisons que je vous dirai. — Tout cela ne détruit pas mes conjectures, dit le comte de la Blache : Is fecit cui prodest : voilà mon raisonnement. Il est savant, votre raisonnement ! ne veut-il pas dire : Celui-là fit le billet, à qui le billet devait profiter ? — Fort bien.

— Mais que penseriez-vous, monsieur, d’un avocat qui s’essoufflerait à vouloir vous persuader qu’entre deux billets écrits d’amitié, celui qui contiendrait ces mots : Fort bien, Dieu merci, et vous ? serait la demande ; et celui qui offrirait ceux-ci : Comment vous portez-vous, monsieur ? la réponse ? Ne vous permettriez-vous pas de rire un peu du bavardin ? Rideamus quoque, nam tu es ille vir, ô digne baccalauree ! Moi aussi je parlerai latin, puisque chacun montre sa science. En effet, un argument en us de temps en temps ne dépare pas un mémoire, et cela orne bien une procédure.

Cependant, si toutes les lettres que je viens d’entasser ne sont pas réellement les réponses à celles auxquelles je prétends qu’elles répondent sur le même papier, il faut avouer au moins qu’elles sont les réponses à quelque chose de moi pour M. Duverney.

Ô judicieux, intègre légataire, c’est vous que j’interroge ; vous qui avez trouvé plusieurs lettres ostensibles de moi dans son secrétaire, et qui les y avez laissées avec tant de scrupule ! vous y aurez vu sans doute aussi toutes celles qui m’ont valu les réponses que je présente ? et pour gagner votre cause en arguant mes lettres de faux, la moindre chose que vous puissiez faire est de nous montrer les véritables.

Il serait bien étonnant que, sur une foule de lettres importantes écrites par moi dont j’ai produit les réponses, vous n’eussiez trouvé dans le bureau que deux ou trois billets qui n’ont aucun rapport au sien, et qui par là n’en servent que mieux à prouver qu’il y avait deux commerces entre nous, indépendants l’un de l’autre : le premier, marchant gravement, simplement, mais ne disant rien parce que la voie qui le faisait parvenir était publique et dangereuse aux secrets ; et de cette nature sont les trois lettres que vous citez ; l’autre, sans protocole, sans gêne, et tel que je le prouve, écrit et répondu sur le même papier, tant dans les lettres qui se rapportent à l’acte du 1er avril, que dans celles qui ne s’y rapportent pas.

Montrez-nous-les donc toutes ces lettres auxquelles la foule des réponses de M. Duverney sont applicables ! alors je vous donne quittance, et je m’avoue vaincu. Cela est-il net ?

En 1761 j’ai acheté une charge de cinq cent mille livres ; en 1762, une autre de soixante-dix mille livres ; en 1763, une maison de soixante mille livres, etc. Ou j’avais de l’argent pour les payer, et alors je n’étais pas ce jeune homme altéré de fortune que vous dites ; ou je n’avais pas d’argent, et quelqu’un m’en a prêté. Cherchez dans l’univers un seul homme, autre que M. Duverney, qui m’ait alors obligé de cent francs, amenez-le-moi ; je vous donne quittance, et je m’avoue vaincu. Cela va-t-il bien encore ?

Lorsque j’avoue que M. Duverney m’a prêté plus de huit cent mille livres, lorsque vous-même avez imprimé ces mots dans de premiers mémoires que vous n’osez plus produire : « La fortune de M. Duverney était un butin que le sieur de Beaumarchais croyait lui appartenir ; » que ne profitez-vous de mon offre ? Ou je dois ces sommes considérables, ou je les ai payées. Si je les dois encore, montrez-en les titres ; si je les ai payées par un autre arrangement, montrez-en les traces : et sur ces traces ou sur ces titres, je vous donne quittance, et je m’avoue vaincu. Suis-je honnête et franc, à votre avis ? À vous à parler, mon ennemi ! car c’est bien tout, je crois.

— Comment ! tout. Et ces trois lettres de 8 février, 4 juin et 11 octobre 1769, sur lesquelles vous passez à vol d’oiseau ; ce certificat si fort du médecin, qui contredit votre lettre du 7 juillet 1770, et surtout cette date du mercredi 9 mai 1770, appliquée sur l’indication samedi 11, de M. Duverney, que nous vous avons si ingénieusement reprochée (pag. 51, 52, 53), et sur laquelle, à vrai dire, nous avons fondé tout le gain de notre cause, vous l’oubliez donc ? vous la laissez à part sans oser y toucher ? Quand on a tort, on est toujours pris par quelque endroit.

— Vous avez raison, messieurs, quant aux trois lettres ostensibles de 1769 : aussi n’est-ce pas par oubli que je les écarte en ce moment, mais pour en orner la seconde partie de ce mémoire, intitulée les Ruses du comte de la Blache.

Je devrais bien y porter aussi ma réponse au certificat mendié du médecin, car c’est là sa vraie place ; mais puisque j’y suis invité, autant vaut-il que je l’expédie.

Le médecin vous a donc certifié que dix jours avant sa mort, M. Duverney, gaillard et dispos, ne ressentait ni chagrin ni incommodité ? Comme je crois plus à la bonhomie du docteur qu’à la vôtre, ce n’est pas lui que j’interroge : il a pu se tromper sur le physique, ignorer le moral et voir mal en tout. Mais vous qui passiez la vie en faction dans sa chambre, vos yeux attachés sur ses yeux, à piper l’héritage, à le hâter par vos désirs, comment ignoriez-vous ce que sa famille, ses amis, ses valets, tout le monde enfin savait chez lui, que c’est moins la vieillesse qui l’a emporté qu’un violent chagrin qui l’a tué ? Comment pouvez-vous l’ignorer, vous, puisque je le savais, moi ; puisque ma lettre, à laquelle il répond le juillet 1770, fixe la nature de ses peines, et lui rappelle qu’il me les a confiées peu de jours avant ?

En effet, je l’ai vu si désolé, si furieux, dans