Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/513

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pas au moins tonner, et montrer quel homme j’étais d’avoir eu l’effronterie de vous en inculper dans mes deux mémoires ? En prouvant que je vous avais calomnié, monsieur le comte, vous m’écrasiez sous les décombres d’un terrible édifice. Mais vous vous en êtes bien gardé ; vous n’en avez rien dit, absolument rien. Ce ne fut pas non plus par ménagement ; jamais vous n’en avez gardé pour moi, mais ce fut par le sentiment intime de votre honte, et la crainte de me voir traiter alors ce fait en réponse avec le détail ignominieux que je viens de lui donner dans mon dernier mémoire ; et c’est ma quatrième preuve.

Vous avez depuis fait faire une consultation de cinquante-huit pages pour ce parlement-ci, dans laquelle vous avez repris, avec bien du soin, tous les anciens reproches de Caillard ; celui du cachet apposé fournissait la plus terrible présomption contre moi. Pourquoi donc, lorsque nous y employez deux pages à dénigrer le billet du 5 avril, avez-vous omis le reproche si tranchant du cachet tel qu’on le lit dans le premier mémoire de Caillard aux requêtes de l’hôtel ? Pourquoi n’y avez-vous pas enfin repoussé sur moi la double honte que je vous en avais imprimée à cet égard dans les mémoires Bidault et Falconnet ? car nous convenons encore, vous et moi, que dans six mille exemplaires de votre consultation répandus en Provence, il n’y a pas un seul mot de ce cachet apposé. Était-ce encore oubli ou ménagement de votre part ? Ni l’un ni l’autre, monsieur le comte ; mais la crainte de réveiller un terrible chat, qui pouvait égratigner jusqu’au sang au premier allongement de sa patte, en sortant du sommeil où vous le berciez si doucement par votre silence ; et c’est ma cinquième preuve.

Mais pourquoi donc vous êtes-vous assez rassuré aujourd’hui pour en oser parler, quoiqu’en tortillant, en tergiversant, en avouant enfin, puisqu’il faut tout dire, que le mot Beaumarchais n’est plus de la main de M. Duverney ? Bien est-il vrai que le Caillard d’aujourd’hui s’enveloppe et glisse autant qu’il peut sur cet aveu. « Si ce billet (dit-il, page 41 de la consultation des six), si ce billet, qui n’a point d’adresse, porte au bas le nom du sieur de Beaumarchais écrit par une autre main que celle du sieur Duverney ; si le procureur, cotant une pièce du nom de sa partie, n’aurait pu l’écrire en partie sous le cachet qui aurait antérieurement fermé le billet, etc. » En honneur, je n’ai pas le courage d’en transcrire davantage. Il faut rapprocher cette réponse et cet aveu de mon attaque vigoureuse, page 399 et suivantes de ma Réponse ingénue, pour bien juger de votre plaisant embarras, monsieur le comte !

Je reprends ma question. Pourquoi avez-vous enfin osé en parler aujourd’hui ? C’est premièrement parce que n’en rien dire dans votre réponse, après une attaque aussi vive que ma dernière, serait passer trop lourdement condamnation sur la chose, et qu’en pareil cas votre avocat sait bien qu’il vaut mieux dire une sottise que de rester court.

Secondement, parce que Me  Bidault et Me  Caillard étant morts tous deux (car depuis que nous plaidons, nous avons déjà usé trois générations d’avocats), vous avez espéré que ma preuve resterait assez incomplète pour que votre négation prît encore une ombre de faveur parmi vos bienveillants.

Mais je laisse à juger si le comte de la Blache, qui fait ressource de tout, qui querelle, à tort et à travers, sans honte ni pudeur, qui s’accroche aux virgules, aux jambages, aux cachets, aux plis du papier, eût gardé ce honteux silence aussi longtemps, et sur un point de cette importance, après en avoir fait un si grand bruit aux requêtes de l’hôtel, si la petite leçon amicale que je lui donnai là-dessus dans le temps ne lui était restée assez avant dans le cœur, pour redouter d’en recevoir une seconde s’il osait remettre encore la question sur le tapis : et c’est ma sixième preuve.

Mais il ne faut laisser aucun faux-fuyant à ce méchant adversaire ; il faut le poursuivre sur ce mot Beaumarchais et ce cachet jusqu’à suffocation parfaite.

Voyez, lecteur, avec quelle assurance il fait dire à son avocat (page 42) : « Le silence du sieur de Beaumarchais, celui de son défenseur depuis 1772, époque de la communication, jusqu’à ce jour, enlèvent donc au premier l’avantage qu’il s’était promis d’une allégation plus téméraire encore que tardive. »

Vous venez de voir, lecteur, comme elle est téméraire mon allégation ! et les mémoires de Falconnet et de Bidault viennent de vous montrer comme elle est tardive.

Eh bien ! faites-moi l’amitié de joindre à ce reproche de silence jusqu’à ce jour, que me fait l’avocat du comte de la Blache ; faites-moi l’amitié, dis-je, de retourner en arrière (page 43) du mémoire fait par ou pour le comte de la Blache, au bas de la note, et d’y lire ces mots… : « Croira-t-on… (ce verbe gouverne toute la note), croira-t-on qu’à ce tribunal (les requêtes de l’hôtel), ainsi qu’à la commission et au conseil, il n’a jamais osé en rien dire nulle part, ni s’en plaindre ? »

À mon tour, je dis à mon lecteur : Croira-t-on, quand on a lu mes citations des mémoires Bidault aux requêtes de l’hôtel, et Falconnet à la commission, que j’ai rappelés exprès dans ma Réponse ingénue, qu’il y ait une effronterie semblable à celle de ce plaideur, qui se joue même des avocats qui le défendent, en leur faisant croire que je n’ai jamais parlé de ce cachet apposé, ni reproché rien à cet égard, quoiqu’il soit prouvé que je n’ai cessé de le faire, sans jamais obtenir un seul mot de réponse ? Croira-t-on qu’il expose ses conseils à