Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/535

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serait toujours utilement employé, parce que je lui en bonifierais l’intérêt ; et il pourrait en disposer également d’un moment à l’autre, parce qu’étant dans le cas d’avoir toujours une caisse garnie, j’acquitterais les mandats que le prince fournirait sur moi, et que l’on imprimerait d’avance, pour qu’il n’ait qu’à signer et remplir la somme et l’ordre à qui il faudrait payer, ou je lui porterais sur son ordre des billets de caisse ou de l’argent. Il me semble que cet objet pourrait devenir conséquent pour le prince, surtout si dans un maniement général comme le département de la guerre, qui est de passé cinquante millions, on peut me laisser de temps à autre quelque forte somme entre les mains. » (Vous l’entendez ! ) « Ce qui ne me paraîtrait pas difficile, et suis sûr que cela a été pratiqué dans le temps par M. D***, par l’entremise des sieurs L… et M… Et moi j’aurais l’agrément de me rendre utile au ministre, ce qui peut se retrouver dans l’occasion. » (Vous voyez les honnêtes projets qu’il avait sur tous ceux qui pourraient lui confier une caisse ! Et la lettre finit ainsi :) « Je soumets cette idée à vos lumières, etc. Il me tarde de venir vous joindre, mon cher ; je hâterai ce moment autant qu’il sera possible. Je vous embrasse, et suis avec le plus sincère attachement tout à vous, votre serviteur et ami.

« Signé Kornman. »


Avant de réfléchir sur cette conduite, encore une lettre de l’époux scrupuleux à l’homme dangereux qu’il déteste.

Même adresse.

À M. Daudet de Jossan, etc. (Toujours le timbre de la poste.)
« Spa, le 1er août 1780. »

N’oubliez pas, lecteur, que toutes ces lettres sont de l’époque où l’honorable époux prétend dans son libelle (page 8) « qu’il conjurait la dame Kornman, de la manière la plus pressante, d’ouvrir les yeux sur l’abîme profond qui s’ouvrait sous ses pas, et pendant qu’il la suppliait (dit-il) de ne pas se livrer davantage à l’homme sans honneur et sans morale qui ne voulait que tirer parti de la fortune de la malheureuse complice de ses égarements. »

« Spa, le 1er août 1780.

« J’espère, mon cher ami, que la présente vous trouvera encore à Paris » (auprès de sa femme), « et que votre départ sera différé de quelques jours, afin de me trouver plus longtemps avec vous en Alsace. Soyez assuré que je m’en fais une fête, et que je viendrai vous joindre le plus tôt possible. Je ne vous dis plus rien de ma femme : tout dépendra d’elle. Je ne suis pas un homme injuste, et je sais apprécier les faiblesses humaines ; je ferai toujours consister mon bonheur en faisant celui de ma femme. » (voilà pour elle) « et de ce qui m’entoure » (voilà pour lui). « Mais je suis homme, par conséquent restreint dans des bornes » (Et dans cinq années, malheureux ! tu l’attaquera en adultère et tu la diffamera après l’avoir fait enfermer pour les mêmes fautes intérieures que toi-même avais préparées, si toutefois elle a succombé ! Non, ma tête est bouillante en écrivant ces mots.) Mais finissons la lettre du 1er août 1770.

« Vos espérances sur l’adjonction en question sont bien flatteuses : il faudra attendre la tournure que cela prendra, vous étant sensiblement obligé de votre surveillance à combiner tous les moyens pour faire réussir l’affaire ; ce sera votre ouvrage. Je vous suis obligé de votre attention obligeante de faire mention de moi dans la famille » (du ministre apparemment), « quand l’occasion se présente, etc.

« Signé Kornman. »


Reposons-nous un moment par une courte récapitulation de tant de faits étranges.

Un homme épouse une jeune personne, belle, riche et noble de famille (car les Faesch, lecteur, sont des premières familles de Bâle). Un oncle généreux l’a fait riche lui-même. Et l’avide ambition de plus dépenser en folies lui fait concevoir le projet de tirer parti de sa femme ; il la vend : je crois bien qu’il ne l’a pas livrée ; mais on voit qu’il la vend pour l’espoir bien vil d’une caisse ! Et sitôt que l’espoir s’enfuit par la retraite d’un ministre, mon tartufe change de ton, cherche querelle à celui qu’il attirait bassement, lui ferme la porte, et punit de son propre crime l’infortunée qui n’avait pu se garantir de tant de piéges.

Mais j’oublie que ce n’est pas moi qui dois plaider pour moi, que c’est mon adversaire lui-même ; je vais donc le laisser parler : premièrement dans le libelle, et puis après viendront ses lettres.

« M. le comte de Maurepas, dit-il (page 10), m’avait prié de m’occuper d’une entreprise à laquelle lui et M. le prince de Montbarrey s’intéressaient beaucoup. » (Et en note au bas de la page on lit :) « Le canal de Bourgogne, proposé par M. le comte de Brancion. »

M. de Maurepas, avec son esprit vif et prompt, avec cet œil de lynx qui perçait à jour les plus fins, prier un Guillaume Kornman ! On nous prend ici pour des femmelettes, tout au moins pour des gens du monde qui croient tout sans examen, dont l’inquiète légèreté fait, au premier mot qu’on écrit, pourvu qu’il soit âpre et sanglant, une foule de déchaînés, de la plus douce nation du monde ! Voyons donc par qui Guill… Korn… fut prié de vouloir bien s’occuper du canal de Bourgogne. Mais ce n’est pas Guill… Korn… que je travaille à convertir ; c’est vous, public inconcevable, Athéniens légers et cruels, qui vous livrez comme des enfants au premier brigand qui vous parle, et toujours injustes envers moi jusqu’à la