Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/555

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dans celles de M. l’avocat général) ; et, la surséance obtenue, le banquier cessa ses payements, s’enfuit avec l’argent du cardinal à Spa, pendant qu’on vendait à Paris et ses chevaux et sa voiture par ordonnance du lieutenant criminel : c’est là ce qu’il appelle ne pas faire banqueroute. C’est ainsi qu’il rompit l’accord trompeur avec sa femme, minuté chez Me Mommet, mon notaire, et dont la signature était retardée par le sieur Kornman lui-même sous différents prétextes, depuis plus de huit jours. Tous ces faits sont si improbables, qu’on ne peut forcer à les croire sans en administrer les preuves.

Les plus authentiques se tirent de la déposition de M. le cardinal de Rohan, faite à l’abbaye de Marmoutiers, devant le lieutenant criminel au bailliage de Tours, par commission rogatoire du lieutenant criminel au Châtelet de Paris.

Lequel a déclaré (car il a dû le faire, et je ne crains pas qu’il y ait manqué) que c’est à sa vive instance que j’ai usé plus de trois mois à nettoyer l’affaire des Quinze-Vingts, sans y avoir d’autre intérêt que celui de rendre service, et refusant toute association.

Elles se tirent de la déposition du sieur abbé Georgel, faite à Saint-Diey en Lorraine, devant l’assesseur civil et criminel au bailliage de cette ville, par même commission rogatoire de M. le lieutenant criminel du Châtelet. Or, si ces dépositions démentent un seul des faits articulés, je me dévoue à l’horreur publique, comme un imposteur punissable et comme un vil malhonnête homme.

Ces pièces probantes, jointes à celles de mes travaux sur l’affaire des Quinze-Vingts, avec les actes, réponses, notes et lettres du sieur Seguin, faisant pour le sieur Kornman et autres associés, qui sont aussi entre les mains de M. l’avocat général, font preuve, auprès des magistrats, de la coupable audace avec laquelle on a plaidé verbalement et par écrit, que, sans prière ni mission de personne j’avais voulu m’emparer de l’affaire des Quinze-Vingts, lorsque je n’en ai fait le pénible dépouillement qu’à la prière instante et prouvée des personnes augustes intéressées à le connaître, et sans avoir voulu prendre la moindre part à son produit, quel qu’il pût un jour devenir.

Laissez donc là tous ces calomnieux verbiages, sans aucun fait, sans preuve et sans logique, dont vous aveuglez le public attentif et trop crédule. Inscrivez-vous en faux, si vous l’osez, contre les preuves que je donne, et que le menteur reconnu soit marqué d’un fer chaud au front ou à la joue : il mérite en effet d’être défiguré. Les Romains les marquaient avec la lettre K, initiale que vous connaissez bien.

Vous avez dit, Guillaume Kornman, ou plutôt on a dit pour vous, et l’on a fait imprimer (page 37 de votre premier libelle), que M. le cardinal vous avait dit : « Je vous réponds de Beaumarchais : il m’a des obligations particulières. Dans ce moment, je vais le faire payer par M. Joly de Fleury de toutes les fournitures qu’il a faites pour l’Amérique ; mais je l’ai prévenu que ce remboursement n’aurait lieu qu’autant qu’il vous aurait lui-même remboursé. » (Ne dirait-on pas, à cette phrase, que je leur devais de l’argent !)

Gens d’honneur, lisez ma réponse. Elle est divisée en deux parts, de fait et de raisonnement. Le fait sans réplique, je le tire de la déposition juridique de M. le cardinal de Rohan, et d’une lettre de lui que j’ai remise, avec les autres pièces, dans les mains de M. l’avocat général.

Voici ce que la lettre porte, après quelques détails : « Je ne comprends pas, m’écrit Son Éminence, comment le sieur Kornman a osé parler de moi avec le ton d’une réticence véritablement coupable. S’il a pu oublier que je l’ai obligé et qu’il m’a trompé, il ne pouvait du moins se dissimuler que tout ce qu’il dit est faux, particulièrement quand il parle de mes préventions. Assurément j’ai prouvé par le fait que, si j’en avais, elles lui étaient favorables, puisque j’ai emprunté pour avoir la possibilité de lui prêter. Si mes dispositions ont changé, sa conduite en aurait été la cause, puisqu’il m’a trompé. Alors ce n’est sûrement pas à lui d’en parler.

« Il dit bien faux aussi lorsqu’il prétend que je l’ai assuré que vous étiez mon obligé. Je n’ai jamais été à portée de vous être utile ; c’est moi, monsieur, qui suis votre obligé, car il est très-certain que je vous ai pressé et sollicité vivement de prendre connaissance et de vous intéresser même dans l’affaire des Quinze-Vingts. Vous avez bien voulu y donner vos soins ; vous avez tiré du chaos et éclairé une affaire qu’on avait intérêt de traîner dans l’obscurité. Non-seulement vous avez donné votre travail et vos peines, mais en outre je n’oublierai jamais que vous m’avez témoigné le regret sincère que la situation de vos propres affaires ne vous permît pas de nous aider de vos fonds ; et je vous en dois d’autant plus d’obligation, qu’avant cette époque je n’avais pas été à portée de vous connaître particulièrement, quoi qu’en dise le sieur Kornman, page 36 de son mémoire, etc. »

Son Éminence ne vous a donc pas dit, comme vous l’imprimez faussement, imposteurs, que je lui avais des obligations particulières : entre autres celle de me faire payer par M. de Fleury, alors ministre des finances, huit ou neuf millions que me doivent les divers États d’Amérique ? Si ma preuve de fait est bonne, celle de raisonnement ne l’est pas moins.

À quel titre, bon Dieu ! aurais-je fait solliciter notre gouvernement de France, qui lui-même a une créance de trente millions au moins à exercer sur l’Amérique, de me rembourser pour ces nouveaux États-Unis l’argent de mes services rendus,