Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/633

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moi, au comptant, depuis quatre grands mois ; les frais extraordinaires occasionnés par l’odieuse retenue que les Hollandais font des armes ; les emprunts à titre onéreux que l’absence de mes capitaux m’a forcé de conclure pour alimenter mes affaires, me rendaient la sûreté de la rentrée de mes fonds absolument indispensable. La préférence à très-bas prix et à crédit que mon patriotisme donne à la France, sur les offres au comptant d’un prix presque double du vôtre, que nos ennemis n’ont cessé de me faire, et dont vous avez toutes preuves, me donnait, je pense, le droit d’exiger le dépôt arrêté entre nous de l’argent qui me reste dû, d’après le traité d’avant-hier, ainsi que M. de Graves crut devoir exiger de moi celui de mes contrats viagers, lorsqu’il me fit une première avance ; mais vous avez désiré, messieurs, que j’en fisse le sacrifice, en me promettant tous les deux que le département de la guerre viendrait à mon secours, si, avant l’époque du dernier payement arrêté, j’avais besoin de nouveaux fonds pour le soutien de mes affaires ; et je l’ai fait.

« En relisant froidement le traité, je n’y trouve aucune trace de mon désistement du dépôt, ni de vos promesses à son sujet. Comment les prouverai-je aux ministres qui peuvent un jour vous succéder, messieurs, si je n’ai pas de vous un titre qui, rappelant mon sacrifice, me recommande à leur justice ? Je vous prie donc, messieurs, de vouloir bien régler et fixer entre vous, et même avec le chef du bureau de l’artillerie, qui a servi de rapporteur en cette affaire, et aux observations duquel, sur les besoins actuels du département de la guerre, est dû mon désistement du dépôt convenu ; voulez-vous bien, dis-je, régler sous quelle forme il convient de me donner un titre qui me fasse obtenir, dans un cas de besoin, les secours pécuniaires que vous m’avez promis ?

« Je profite de cette occasion, messieurs, pour vous rendre de nouvelles grâces, ainsi qu’à tous les honorables membres des trois comités, diplomatique, militaire et des douze réunis, du témoignage très-flatteur que vous avez tous daigné rendre à mon civisme désintéressé, lequel pourtant n’est, selon moi, qu’un devoir justement rempli, comme vous le feriez vous-mêmes, si vous vous trouviez à mon poste.

« Agréez, je vous prie, messieurs, le dévouement respectueux d’un bon citoyen.

"Signé Cakon de Beaumarchais. »

J’avoue que je restai dans une anxiété fâcheuse jusqu’au moment où leur réponse me parvint. La voici telle que je la reçus le lendemain vers le midi:

A M. de Beaumarchais.

.1 Tans, le 20 juillel 1192.

« Pour vous ôter, monsieur, toute inquiétude relativement au changement que nous avons dem indi m nouveau traité des armes, eu exigeantde tous que le dépôt du capital des fusils en florins courants de Hollande’, qui devrait être fait par l gouvernement chez votre notaire (comme vous avez fait celui de vos sept cent cinquanti milh contrats viagers, lors de l’avance de cinq cent mille francs, chez le notaire du département de la guerre 1, n’eût pas lieu, et que, l’argent restât de confiance dans les mains du gouvernement, nous vous répétons avec plaisir, monsieur, que l’opinion unanime des comités et des ministres ayant été que le patriotisme et le grand désintéressement dont vous avez fait preuve, en refusant des ennemis de l’État de douze à treize florins comptant des fusils que vous nous cédez à ferme sur le pied de huit florins huit sous, et la modique indemnité à laquelle vous vous restreignez pour tant de sacrifices, méritent les plus grands éloges, et qu’on vous traite fort honorablement sur cette affaire. Nous vous assurons de nouveau, monsieur, qu’après que l’état de la quantité des armes dont vous vous expropriez, reçues, vérifiées, ficelées et cachetées par M. de Maulde, nous sera parvenu, signé de ce ministre plénipotentiaire, ainsi que le compte de vos frais, au remboursement desquels le traité oblige envers vous le département de la guerre; si vous avez besoin de nouveaux fonds pour l’arrangement de vos affaires, sur le reliquat qui vous sera dû, le département de la guerre ne refusera pas de vous les faire compter, ainsi que nous en sommes convenus, pour vous tenir lieu du dépôt, chez votre notaire, dont vous vous désistez.

u Recevez-en notre assurance, monsieur. Sigm Le ministre de la guerre, A. Lajard. « Le ministre des affaires étrangères « Scipion Chambonas. •

En lisant cette lettre, je me disais:Ils ont senti mon affliction, et n’ont pas cru devoir m’y laisser un moment de plus. Grâces leur soient rendues ! Alors sortit de ma poitrine un soupir de soulagement. Je n’ai pas tout perdu, me dis-je; si d’autres embarras arrêtaient encore cette affaire, au moins serai-je justifié par les grands efforts que j’ai faits : les éloges qui j’en reçois seront ma douce récompense. Mais je dois, dans mon cœur, des excuses à tout le monde : on m’a fait soupçonner tout le conseil de malveillance ; j’ai soupçonné les deux ministres de vouloir nuire à l’arrivée des armes, pour servir un parti contraire : et tout cela n’existe point ! Heureusement que je ne suis coupable que dans le secret de mon cœur ; je n’ai nul tort public à réparer : il suffit que je m’en repente, et que j’aille demain remercier les ministres.

La prudence humaine est bien fausse ! Loin que tout le conseil ni ces ministres m’eussent nui, ah ! c’est le seul moment où cette affaire intéressante a été vraiment protégée. Je me méfierai désor-