petits pâtés, bouteilles de vin, pétards et girandoles allumées, comme on le prétendait, j’ai pensé que, profitaat de la première chaleur, on pourrait la diriger vers un objet plus utile à la chose publique ; et, passant subitement de cette idée à son exécution rapide, j’ai proposé, à tous les négociants que j’ai pu rassembler chez moi, d’ouvrir une souscription d’un million , [et d’offrir cette somme en crédits généreuxà M. le comte d’Estaing pour hâter le succès de sa grande réforme, en le laissant maître de régler avec le ministre du roi et le terme du remboursement.
J’ai libellé l’hommage qui précédait les signatures ; et pour que tous les gens aisés y pussent concourir sans se gêner, et que la souscription se remplit avec facilité, je n’ai osé signer moi-même que pour une somme de douze mille livres. Tous ceux que je tenais sous ma main ont suii cet exemple à peu près, et la souscription a commencé à trotter par la ville avec nossiguatures. Pendant ce temps M. le comte d’Estaing assemblait, non la chambre du commerce, mais le commerce entier ; car une fatalité barbare et théologique éloigne les plus fortes maisons et les négociants les plus éclairés de l’accès de la chambre : elle ne représente réellement à Bordeaux que quelques maisons catholiques ; et l’opération de M. le comte d’Estaing exigeait le concours d’un patriotisme universel. Il a donc très-bien senti la différence qu’il y avait entre parler à la pince du commerce (comme la lettre du roi le porte), et ne s’adresser qu’à la seule chambre du commerce, qui lui eûtsoufflé plusdes trois quartsde la bonne volonté générale, ainsi qu’on l’a vu lorsqu’il s’est agi de la souscription du don gratuit d’un simple vaisseau de ligne, lequel s’est réduit, par les tripotages de la chambre, à un impôt dont chaque négociant supporte le moins qu’il peut, et qui pèse uniquement sur les propriétaires et consommateurs.
M. le comte d’Estaing s’est donc appliqué à bien faire sentir aux négociants assemblés l’honneur que le commerce recevait de la lettre du roi, et l’avantage immense qu’il tirerait de la formation du nouveau corps maritime. Il a demandé six députés pour dresser aec lui les préliminaires de l’établissement d’un comité permanent, qui fût chargé de l’examen et de la présentation de tous les capitaines qui s’offriraient pour entrer dans le nouveau corps.
A ce premier travail il a fallu débattre longtemps la question de former le comité d’autant de membres étrangers à la chambre du commerce que l’on en tirerait de son sein. Messieurs de la chambre voulaient être seuls nommés, ou ne pas être du comité, ou qu’on en fit deux séparés : c’était ramener la division, les questions oiseuses et théologiques, ou bien prononcer l’exclusion des deux tiers du commerce : bref, c’était ne rien faire. M. h" comte d’Estaing a forcé les répugnances, en nommant lui-même trois négociants protestants, en exigeant leur réunion absolue ;m comité à trois membres de la chambre : Ion- le- six ont choisi un septième pour les départager en i as de fmisitt d avii Ce n’a pas et sani pa n _equece point si important au bien du commerce a été enlevé.
La forme de l’examen, la teneur du certificat, les avantages offerts aux nouveaux officiers, l’uniforme même, ont été réglés sur-le-champ. Les sept commissaires ont tous signé conjointement avec M. le comte d’Estaing ; et, pressé qu’il était de partir, il n’en a pas moins emporté avec lui l’état de la souscription d’un crédit ouvert seulement depuis douze heures, et qui montait déjà à cent mille écus. On y a joint l’état d’une autre souscription gratuite en faveui des matelots dont M. d’Estaing sera content, laquelle a été tuée, par un autre petit moyeu de persuasion, aux fêtes que le commerce voulaitdonnerà rai. A >on départ, cette seconde souscription montait à plus de soixante mille livres. M. le comte d’Estaing est parti, en daignant me prier de veillera la suite de tout ce qui n’a pu ’Mri’ qu’ébauché en aussi peu de temps : mais quand le feu central s’éloigne, que le soleil se couche, quelle chaleur peut communiquer une faible planète ? Tout s’est refroidi au d général : les réflexions, les observations, les divisions, les critiques, les haines et les del venus en foule ; et j’ai beaucoup à souffrir, à cause de la part que je semblais avoir prise à la formation d’un comité mixte, et surtout à la marche brusque et rapide des souscripi Mais moi, qui sais bien qu’il ne se fait rien do bon qu’en osant marcher à travers les épines, et qu’on ne franchirait aucun marais si l’on craignait les cris des grenouilles, je continue de travailler sans relâche, assistant à tous les comités, expliquant tout ce qui peut être obscur dans les premiers travaux, faisant faire les modèles d’uniforme, les mettant sous les yeux de mon le comte d’Artois, à son passage, et engageant ce prince à réchauffer le commerce par des éloges publics, que je voudrais qu’il* méritât réellement. Tel est l’état des choses.
En général, le zèle des protestants a tout fait ; l.i basse jalousie des autres a tout ’gâté, tout divisé. Mais si tout n’est pas bien, monsieur le comte, tout n’est pas mal non plus ; et, en mettant du coton dans mes oreilles, je ne désespère pas de porter la souscription du crédit à six cent mille livres, et d’envoyer à M. d’Estaing ivanl son départ de Cadix) seize ou dix huit excellents sujets.
Pour récompense, à la vérité, je partirai de Bordeaux avec le joli renom d’être arrivé en cette ville pour m’emparer des esprits, y forcer les vo-