Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, Laplace, 1876.djvu/765

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vendrait cinq cent mille livres ? C’est leur valeur après cent ans. Et quoiqu’une glace ne soit pas uu objet de nécessité première, la facilité d’en avoir, l’accoutumance, le bas prix, en ont multiplié l’usage à tel point, que les descendants du pauvre fou qui prit alors dans cette affaire une action de trois mille francs ont aujourd’hui pour cette action vingt mille livres de rentes effectives.

Au commencement de ce siècle on crut qu’il serait agréable de se picoter le nez avec une poudre ammoniacale plus inutile que des glaces, moins nécessaire que de l’eau. D’abord on rit de la poussière : son premier affermage exclusif ne rendit que cinq cent mille livres ; il rapporte vingt-huit millions. De nous il en sera de même ; et dans trente ans chacun rira des critiques de ce temps-ci, comme on rit aujourd’hui des critiques de ce temps-là. Quand elles étaient bien amères, on les nommait les Philippiques : peut-être un jour quelque mauvais plaisant coiffera-t-il celles-ci du joli nom de Mirabelles, venant du comte de Mirabeau, {{lang|la|qui mirabilia fecit}.

En demandant pardon de cette digression légère, nous revenons aux actions des eaux, et nous allons établir leurs produits, contre les principes de l’auteur.

Cet auteur n’approuve point que la compagnie donne de l’eau de Seine aux Invalides et à l’École militaire, en ce que ces maisons ont de l’eau que fournit un puits au moyen d’une machine à chevaux ; plus, quelques voitures à tonneaux qui vont chercher l’eau de rivière pour le service des cuisines. Mais l’auteur ne sait pas que l’administration des Invalides dépense annuellement pour ce service ingrat la somme de dix mille cinquante-cinq livres quatorze sous neuf deniers, sans comprendre les frais de l’entretien de sa machine. La compagnie des eaux a cru se faire honneur en offrant aux hommes respectables qui administrent cet hôtel toute la quantité d’eau de rivière dont ils ont besoin, à un prix même, au-dessous de ce que leur coûte l’eau de puits.

C’est la même eau, dit-il (note de la page 9). Pardonnez-nous, monsieur, ce n’est point la même eau.

L’eau de la Seine, que la machine à feu n’altère point en l’élevant, est légère, dissout le savon et cuit des légumes, ce que les eaux d’aucun puits de Paris ni des environs ne peuvent faire ; et cette considération, qui intéresse la santé des hommes, était seule assez forte pour déterminer de sages administrateurs à préférer l’eau de la compagnie, indépendamment de l’économie qu’ils y trouvent. Mais on a dit à cet auteur que l’aspiration de nos pompes faisait remonter contre le courant les eaux dégorgées par le grand égout. Quoique ce ne soit qu’un ouï-dire, on voit qu’il pèse avec plaisir sur cette objection ridicule, et la prolonge complaisamment dans une noie d’une page. Mais quand il ne se permettrait pas de rapprocher de plus de cinquante toises le dégorgemenl de I éj out, cpii se fait à cenl une toises au-dessous de notre aqueduc, l’allégation d’un tel mélange n’en serait pas moins une al. surdité palpable qu’on rougirai) de relever. Au surplus, la Société royale de médecine a l’ait l’analyse comparative des eaux prises au milieu de la Seine, dans le bassin où puisent les machines, dans les réservoirs sur le haut de Chaillot, aux fontaines de distribution, et dans les réservoirs particuliers. Ce rapport peut être consulté, si l’on a quelques doutes sur la salubrité des eaux que fournit la compagnie : on a le mettre à la suite de cette réponse, pour la commodité du public.

Nous remarquerons, en passant, que M. de Mirabeau n’avait aucun besoin d’attaquer la qualité de l’eau des machines à feu, pour critiquer une spéculation de finance ; et c’est une légèreté d’autant plus répréhensible, que si le ton Iran, haut de l’auteur en imposait assez au public pour faire prendre confiance en sa brochure, il pourrait inquiéter sur l’usage d’un élément de première nécessité, dont partie de Paris fait déjà sa boisson. Passons à des objections moins frivoles, aux alarmes que feint l’auteur de voir l’administration de la ville obligée de traiter avec la compagnie des eaux pour remplir ses engagements.

La ville ne peut être contrainte de traiter avec la compagnie des eaux ; mais elle peut tirer un très-grand parti, pour son administration et pour le service du public, de l’établissement des machines à feu. Ce moyen, quoi qu’en dise l’auteur, est le plus sûr et le [.lus étendu de lous Elles s’établissent partout, se multiplient à volonté. Le seul établissement de la ville qui puisse être nommé est la pompe de IVbfr’e-Dame. En les comparant l’une à l’autre, il est prouve que la machine à l’eu, de proportion à donner une quantité d’eau égale au produit de cette pompe, ne coûterait pas plus de. chauffage et d’entretien que la seule réparation annuelle de cette ancienne machine ; que l’établissement en serait beaucoup moins dispendieux ; qu’elle aurait surtout l’avantage de ne point gêner la navigation, et de donner un produit d’eau constant. On sait que la pompe de Notre-Dame cesse son mouvement dans les eaux basses el dans lesgelées, el que la machine à feu de Chaillot n’a pas interrompu son service depuis son établissement, quoiqu’on ait vu des froids très-rigoureux, ou la Seine presque tarie.

A peine cette pompe de la ville élèvc-t-elle soixante pouces d’eau, quand nos machines à feu en donnent quinze cents : et toutes les injures de l’auteur ne peuvent empêcher de voir que la ville et ses cessionuaires feraient, une affaire excellente, en s’arrangeant avec la compagnie pour qu’elle remplit tous ses engagements. Sans que personne mérite aucun reproche, uniquement par le peu