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EUGÉNIE, ACTE III, SCÈNE IX.

le baron.

Véritable ? Eh bien, ma sœur ?

madame murer.

Il vous ment.

drink.

Je ne mens pas, monsieur.

le baron, avec violence.

Tu ne mens pas, misérable ?

drink, à part.

Allons, tout est découvert ; quelque autre lettre sera venue.

le baron.

Raconte-moi le fait : je veux l’entendre mot à mot de ta bouche.

drink.

Monsieur… puisque vous le savez aussi bien que moi…

le baron.

Traître !

madame murer, retenant le baron.

Mon frère !

le baron.

Qu’il laisse son verbiage, et qu’il avoue.

drink, cherchant et tirant une lettre de sa poche.

Puisqu’il n’y a plus moyen de dissimuler… Voici une lettre de M. Williams, l’intendant de milord.

le baron, lui arrachant la lettre.

Pour qui ?

drink.

Elle est adressée à madame.

madame murer.

À moi ? D’où me vient cette préférence ? Et quel rapport cet intendant…

drink, surpris.

Comment, quel rapport ? C’est le même qui a fait le mariage…

madame murer, prenant la lettre au baron.

D’honneur, si j’y entends quelque chose. Elle est décachetée.

le baron.

Mais apprends-moi comment il peut penser à se marier, étant l’époux de ma fille ?

drink, tout à fait troublé.

Quoi, monsieur ! c’est du nouveau mariage que vous parlez ?

le baron.

Et duquel donc ?

madame murer a lu.

Ah ! le scélérat !

(Elle porte les mains à son visage, qu’elle couvre de la lettre chiffonnée.)
le baron.

Qu’est-ce que c’est ?

drink.

Me voilà perdu, je n’ai plus qu’à quitter l’Angleterre.

(Il sort.)



Scène VIII


le BARON, madame MURER, EUGÉNIE.
madame murer, avec horreur.

Il nous a trompés indignement ! Ma nièce n’est pas sa femme.

eugénie, les bras levés.

Dieu tout-puissant !

(Elle tombe dans un fauteuil.)
madame murer.

Son intendant a servi de ministre, et toute la race infernale, de complices.

le baron, frappant du pied.

Rage ! fureur ! ô femmes, qu’avez-vous fait ?

madame murer, effrayée.

Mon frère, par pitié, suspendez vos reproches. Ne voyez-vous pas l’état où elle est ?

eugénie, se relevant.

Non, ne l’arrêtez pas. Je n’ai plus rien à craindre que de vivre… Mon père, j’implore votre colère…

le baron, hors de lui.

Et tu l’as méritée… Sexe perfide ! femmes, à jamais le trouble et le déshonneur des familles ! Noyez-vous maintenant dans des larmes inutiles… Avez-vous cru vous soustraire à mon obéissance ? Avez-vous cru violer impunément le plus saint des devoirs ? Tu l’as osé ; toutes les démarches se sont trouvées fausses ; tu as été séduite, trompée, déshonorée ; et le ciel t’en punit par l’abandon de ton père et sa malédiction.

eugénie, s’élançant vers le baron, et le retenant.

Ah ! mon père, ayez pitié de mon désespoir ; révoquez l’épouvantable arrêt que vous venez de prononcer !

le baron, attendri, la repousse doucement.

Ôtez-vous de mes yeux : vous m’avez rendu le plus misérable des hommes.

(Il sort.)



Scène IX


madame MURER, EUGÉNIE.
eugénie, courant dans les bras de sa tante.

Ah ! madame, m’abandonnerez-vous aussi ?

madame murer.

Non, mon enfant ; écoutez-moi.

eugénie.

Ah ! ma tante, venez, secondez-moi : courons nous jeter aux pieds de mon père, implorons ses bontés, et sortons tous d’une odieuse maison…

madame murer.

Ce n’est pas mon avis : il faut y rester, au contraire, et écrire au comte que vous l’attendez ici ce soir.