Mais c’est que le comte n’est point du tout l’homme que vous dépeignez. Peut-être a-t-il, dans le feu de la première jeunesse, un peu trop négligé de faire parler avantageusement de ses mœurs ; mais…
Et quel garant a pu vous donner pour l’avenir celui qui jusqu’à présent a méprisé la censure publique sur le point le plus important ?
Quel garant ? Tout ce qui inspire la confiance, cimente l’estime et augmente la bonne opinion ; la franchise de son caractère qui le rend supérieur au déguisement, même dans ce qui lui est contraire ; la noblesse de ses procédés avec ses inférieurs ; sa générosité pour ses domestiques, et la bonté de son cœur, qui le porte à soulager tous les malheureux.
Ce n’est pas un ennemi de la vertu, je vous assure, mon père.
Voilà comme on érige tout en vertus dans ceux qu’on veut défendre. Il est humain, il est grand, généreux, obligeant : tout cela n’est-il pas bien méritoire ? Amenez-moi quelqu’un pour qui ces choses-là ne soient pas un plaisir ? Et qu’en voulez-vous conclure ?
Qu’un homme aussi noble, aussi bienfaisant pour tout le monde, ne peut pas devenir injuste et cruel uniquement pour l’objet de son amour.
Je le voudrais ; mais…
Ne lui faites pas, je vous prie, le tort d’en douter.
Mon enfant, l’âme d’un libertin est inexplicable ; mais tu te flattes en vain d’un changement de conduite. Les plaisanteries du capitaine sur sa dernière aventure n’avaient pas rapport à des temps antérieurs à son mariage avec toi.
C’est où je vous attendais. Tout cet amer badinage a porté sur votre fille, dont l’union mystérieuse a donné jour à mille fausses conjectures ; mais quand vous saurez qu’il l’adore…
Il l’adore ! c’est encore un de leurs termes, adorer. Toujours au delà du vrai. Les honnêtes gens aiment leurs femmes ; ceux qui les trompent les adorent : mais les femmes veulent être adorées.
Vous penserez différemment, lorsque vous apprendrez qu’un gage de la plus parfaite union…
Comment ?
Lorsqu’avant peu…
Bon ! Est-ce qu’elle dit vrai ?
Ah ! mon père, comblez par votre bénédiction le bonheur de votre fille.
Réellement ? Eh bien… eh bien… eh bien, mon enfant, puisque c’est ainsi, j’approuve tout. (À part.) Aussi bien est-ce un mal sans remède.
De quel poids mon cœur est soulagé !
Milady, embrassez votre père.
Laisse là milady : sois toujours mon Eugénie.
{Avec feu.) Toute la vie, mon père ! (Par exclamation.) Ah ! milord, quel jour heureux pour nous !
Mais dites-moi donc un peu, vous autres : puisqu’elle est la femme de ce milord, que diable veulent-ils dire avec cet autre mariage ? Car aussi on n’y comprend rien.
Il vous l’a dit tantôt. Discours de valets, bruits populaires.
J’en ai été troublée malgré moi.
C’est que cela n’est pas net, au moins.
Drink est son homme de confiance : il n’y a qu’à l’interroger vous-même.
Scène VII
Vous avez raison ; je saurai bientôt… (Saisissant Drink au collet.) Viens ici, fripon : dis-moi tout ce que tu sais du mariage.
Du mariage ! Est-ce qu’on aurait appris… Oh ! maudit intendant !…
Cet intendant ? Parleras-tu ?… Faut-il…
Non, non, monsieur… Il n’est pas besoin que vous vous fâchiez pour cela. C’est le mariage que vous demandez ?
Oui.
(À part.) Il faut mentir ici. (Haut.) Il est véritable, le mariage.