Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/135

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 en France sur le repos d’un
citoyen. Heureusement que mon ouvrage est sous les yeux de la nation, qui depuis
dix grands mois le voit, le juge et l’apprécie. Le laisser jouer tant qu’il fera
plaisir est la seule vengeance que je me sois permise. Je n’écris point ceci
pour les lecteurs actuels : le récit d’un mal trop connu touche peu ; mais dans
quatre-vingts ans il portera son fruit. Les auteurs de ce temps-là compareront
leur sort au nôtre, et nos enfants sauront à quel prix on pouvait amuser leurs
pères.
Allons au fait ; ce n’est pas tout cela qui blesse. Le vrai motif qui se cache,
et qui dans les replis du cœur produit tous les autres reproches, est renfermé
dans ce quatrain :
Pourquoi ce Figaro qu’on va tant écouter
Est-il avec fureur déchiré par les sots ?
Recevoir, prendre et demander,
Voilà le secret en trois mots !
En effet, Figaro parlant du métier de courtisan, le définit dans ces termes
sévères. Je ne puis le nier, je l’ai dit. Mais reviendrai-je sur ce point ? Si
c’est un mal, le remède serait pire : il faudrait poser méthodiquement ce que je
n’ai fait qu’indiquer ; revenir à montrer qu’il n’y a point de synonyme, en
français entre l’homme de la Cour, l’homme de Cour, et le courtisan par métier.
Il faudrait répéter qu’homme de la Cour peint seulement un noble état ; qu’il
s’entend de l’homme de qualité, vivant avec la noblesse et l’éclat que son rang
lui impose ; que si cet homme de la Cour aime le bien par goût, sans intérêt, si,
loin de jamais nuire à personne, il se fait estimer de ses maîtres, aimer de ses
égaux et respecter des autres ; alors cette acception reçoit un nouveau lustre,
et j’en connais plus d’un que je nommerais avec plaisir, s’il en était question.
Il faudrait montrer qu’homme de Cour, en bon français, est moins l’énoncé d’un
état que le résumé d’un caractère adroit, liant, mais réservé ; pressant la main
de tout le monde en glissant chemin à travers ; menant finement son intrigue avec
l’ait de toujours servir ; ne se faisant point d’ennemis, mais donnant prés d’un
fossé, dans l’occasion, de l’épaule au meilleur ami, pour assurer sa chute et le
remplacer sur la crête ; laissant à part tout préjugé qui pourrait ralentir sa
marche ; souriant à ce qui lui déplaît, et critiquant ce qu’il approuve, selon
les hommes qui l’écoutent ; dans les liaisons utiles de sa femme ou de sa
maîtresse, ne voyant que ce qu’il doit voir, enfin…
Prenant ! tout, pour le faire court,
En véritable homme de Cour.
LÀ FONTAINE.
Cette acception n’est pas aussi défavorable que celle du courtisan par métier,
et c’est l’homme dont parle Figaro.
Mais quand j’étendrais la définition de ce dernier ; quand parcourant tous les
possibles, je le montrerais avec son maintien équivoque, haut et bas à la fois ;
rampant avec orgueil, ayant toutes les prétentions sans en justifier une ; se
donnant l’air du protégement pour se faire chef de parti ; dénigrant tous les
concurrents qui balanceraient son crédit ; faisant un métier lucratif de ce qui
ne devrait qu’honorer ; vendant ses maîtresses à son maître ; lui faisant payer
ses plaisirs, etc., etc., et quatre pages d’etc., il faudrait toujours revenir
au distique de Figaro :
Recevoir, prendre et demander,
Voilà le secret en trois mots.
Pour ceux-ci, je n’en connais point ; il y en eut, dit-on, sous Henri III, sous
d’autres rois encore ; mais c’est l’affaire de l’historien, et, quant à moi, je
suis d’avis que les vicieux du siècle en sont comme les saints ; qu’il faut cent
ans pour les canoniser. Mais puisque j’ai promis la critique de ma pièce, il
faut enfin que je la donne.
En général son grand défaut est que je ne l’ai point faite en observant le
monde ; qu’elle ne peint rien de ce qui existe, et ne rappelle jamais l’image de
la société où l’on vit ; que ses mœurs, basses et corrompues, n’ont pas même le
mérite d’être vraies. Et c’est ce qu’on lisait dernièrement dans un beau
discours imprimé, composé par un homme de bien, auquel il n’a manqué qu’un peu
d’esprit pour être un écrivain médiocre. Mais médiocre ou non, moi qui ne fis
jamais usage de cette allure oblique et torse avec laquelle un sbire, qui n’a
pas l’air de vous regarder, vous donne du stylet au flanc, je suis de l’avis de
celui-ci. Je conviens qu’à la vérité la génération passée ressemblait beaucoup à
ma pièce ; que la génération future lui ressemblera beaucoup aussi ; mais que pour
la génération présente, elle ne lui ressemble aucunement ; que je n’ai jamais
rencontré ni mari suborneur, ni seigneur libertin, ni courtisan avide, ni juge
ignorant ou passionné, ni avocat injuriant, ni gens médiocres avancés, ni
traducteur bassement jaloux. Et que si des âmes pures, qui ne s’y reconnaissent
point du tout, s’irritent contre ma pièce et la déchirent sans relâche, c’est
uniquement par respect pour leurs grands-pères et sensibilité pour leurs petits-
enfants. J’espère, après cette déclaration, qu’on me laissera bien tranquille :
ET J’AI FINI.
Caractères et habillements de la pièce
Le Comte Almaviva