Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/153

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S’il n’y a pas d’issue ?
Suzanne
Après la rencontre de tantôt, il vous écraserait, et nous serions perdues.
Courez conter à Figaro…
Chérubin
La fenêtre du jardin n’est peut-être pas bien haute. (Il court y regarder.)
Suzanne, avec effroi.
Un grand étage ! impossible ! Ah ! ma pauvre maîtresse ! Et mon mariage, ô ciel !
Chérubin revient.
Elle donne sur la melonnière ; quitte à gâter une couche ou deux.
Suzanne le retient et s’écrie.
Il va se tuer !
Chérubin, exalté.
Dans un gouffre allumé, Suzon ! oui, je m’y jetterais plutôt que de lui nuire…
Et ce baiser va me porter bonheur. (Il l’embrasse et court sauter par la
fenêtre.)
Scène XV
Suzanne seule, un cri de frayeur.
Ah !… (Elle tombe assise un moment. Elle va péniblement regarder à la fenêtre
et revient.) Il est déjà bien loin. Oh ! le petit garnement ! aussi leste que
joli ! si celui-là manque de femmes… Prenons sa place au plus tôt. (En entrant
dans le cabinet.) Vous pouvez à présent, monsieur le Comte, rompre la cloison,
si cela vous amuse ; au diantre qui répond un mot ! (Elle s’y enferme.)
Scène XVI
Le Comte, La Comtesse rentrent dans la chambre.
Le Comte, une pince à la main qu’il jette sur le fauteuil.
Tout est bien comme je l’ai laissé. Madame, en m’exposant à briser cette porte,
réfléchissez aux suites : encore une fois, voulez-vous l’ouvrir ?
La Comtesse
Eh ! monsieur, quelle horrible humeur peut altérer ainsi les égards entre deux
époux ? Si l’amour vous dominait au point de vous inspirer ces fureurs, malgré
leur déraison, je les excuserais ; j’oublierais peut-être, en faveur du motif, ce
qu’elles ont d’offensant pour moi. Mais la seule vanité peut-elle jeter dans cet
excès un galant homme ?
Le Comte
Amour ou vanité, vous ouvrirez la porte ; ou je vais à l’instant…
La Comtesse, au-devant.
Arrêtez, monsieur, je vous prie ! Me croyez-vous capable de manquer à ce que je
me dois ?
Le Comte
Tout ce qu’il vous plaira, madame ; mais je verrai qui est dans ce cabinet.
La Comtesse, effrayée.
Hé bien, monsieur, vous le verrez. Ecoutez-moi… tranquillement.
Le Comte
Ce n’est donc pas Suzanne ?
La Comtesse, timidement.
Au moins n’est-ce pas non plus une personne… dont vous deviez rien redouter…
Nous disposions une plaisanterie… bien innocente, en vérité, pour ce soir ; et
je vous jure…
Le Comte
Et vous me jurez ?…
La Comtesse
Que nous n’avions pas plus dessein de vous offenser l’un que l’autre.
Le Comte, vite.
L’un que l’autre ? C’est un homme.
La Comtesse
Un enfant, monsieur.
Le Comte
Hé ! qui donc ?
La Comtesse
À peine osé-je le nommer !
Le Comte, furieux.
Je le tuerai.
La Comtesse
Grands dieux !
Le Comte
Parlez donc !
La Comtesse
Ce jeune… Chérubin…
Le Comte
Chérubin ! l’insolent ! Voilà mes soupçons et le billet expliqués.
La Comtesse, joignant les mains.
Ah ! monsieur ! gardez de penser…
Le Comte, frappant du pied, à part.
Je trouverai partout ce maudit page ! (Haut.) Allons, madame, ouvrez ; je sais
tout maintenant. Vous n’auriez pas été si émue, en le congédiant ce matin ; il
serait parti quand je l’ai ordonné ; vous n’auriez pas mis tant de fausseté dans
votre conte de Suzanne, il ne se serait pas si soigneusement caché, s’il n’y
avait rien de criminel.
La Comtesse
Il a craint de vous irriter en se montrant.
Le Comte,