Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/154

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 hors de lui, crie au cabinet.
Sors donc, petit malheureux !
La Comtesse le prend à bras-le-corps, en l’éloignant.
Ah ! monsieur, monsieur, votre colère me fait trembler pour lui. N’en croyez pas
un injuste soupçon, de grâce ! et que le désordre où vous l’allez trouver…
Le Comte
Du désordre !
La Comtesse
Hélas, oui ! Prêt à s’habiller en femme, une coiffure à moi sur la tête, en veste
et sans manteau, le col ouvert, les bras nus : il allait essayer…
Le Comte
Et vous vouliez garder votre chambre ! Indigne épouse ! ah ! vous la garderez…
longtemps ; mais il faut avant que j’en chasse un insolent, de manière à ne plus
le rencontrer nulle part.
La Comtesse, se jette à genoux, les bras élevés.
Monsieur le Comte, épargnez un enfant ; je ne me consolerais pas d’avoir causé…
Le Comte
Vos frayeurs aggravent son crime.
La Comtesse
Il n’est pas coupable, il partait : c’est moi qui l’ai fait appeler.
Le Comte, furieux.
Levez-vous. Otez-vous… Tu es bien audacieuse d’oser me parler pour un autre !
La Comtesse
Eh bien ! je m’ôterai, monsieur, je me lèverai ; je vous remettrai même la clef du
cabinet : mais, au nom de votre amour…
Le Comte
De mon amour, perfide !
La Comtesse se lève et lui présente la clef.
Promettez-moi que vous laisserez aller cet enfant sans lui faire aucun mal ; et
puisse, après, tout votre courroux tomber sur moi, si je ne vous convaincs
pas…
Le Comte, prenant la clef.
Je n’écoute plus rien.
La Comtesse se jette sur une bergère, un mouchoir sur les yeux.
Ô ciel ! il va périr !
Le Comte ouvre la porte et recule.
C’est Suzanne !
Scène XVII
La Comtesse, Le Comte, Suzanne.
Suzanne sort en riant.
Je le tuerai, je le tuerai ! Tuez-le donc, ce méchant page.
Le Comte, à part.
Ah ! quelle école ! (Regardant la Comtesse qui est restée stupéfaite.) Et vous
aussi, vous jouez l’étonnement ?… Mais peut-être elle n’y est pas seule. (Il
entre.)
Scène XVIII
La Comtesse, assise, Suzanne.
Suzanne accourt à sa maîtresse.
Remettez-vous, madame ; il est bien loin ; il a fait un saut…
La Comtesse
Ah, Suzon, je suis morte.
Scène XIX
La Comtesse, assise, Suzanne, Le Comte.
Le Comte sort du cabinet d’un air confus. Après un court silence.
Il n’y a personne, et pour le coup j’ai tort. — Madame… vous jouez fort bien
la comédie.
Suzanne, gaiement.
Et moi, Monseigneur ? (La Comtesse, son mouchoir sur la bouche, pour se remettre,
ne parle pas.)
Le Comte s’approche.
Quoi ! madame, vous plaisantiez ?
La Comtesse, se remettant un peu.
Eh pourquoi non, monsieur ?
Le Comte
Quel affreux badinage ! et par quel motif, je vous prie… ?
La Comtesse
Vos folies méritent-elles de la pitié ?
Le Comte
Nommer folies ce qui touche à l’honneur !
La Comtesse, assurant son ton par degrés.
Me suis-je unie à vous pour être éternellement dévouée à l’abandon et à la
jalousie, que vous seul osez concilier ?
Le Comte
Ah ! madame, c’est sans ménagement.
Suzanne
Madame n’avait qu’à vous laisser appeler les gens.
Le Comte
Tu as raison, et c’est à moi de m’humilier… Pardon, je suis d’une
confusion !…
Suzanne
Avouez, Monseigneur, que vous la méritez un peu !
Le Comte
Pourquoi donc ne sortais-tu pas lorsque je t’appelais ? Mauvaise !
Suzanne