Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/160

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Ah ! ce fatal jardinier ! Tout cela m’a remuée au point… que je ne pouvais
rassembler deux idées.
Suzanne
Ah ! madame, au contraire ; et c’est là que j’ai vu combien l’usage du grand monde
donne d’aisance aux dames comme il faut, pour mentir sans qu’il y paraisse.
La Comtesse
Crois-tu que le Comte en soit la dupe ? Et s’il trouvait cet enfant au château !
Suzanne
Je vais recommander de le cacher si bien…
La Comtesse
Il faut qu’il parte. Après ce qui vient d’arriver, vous croyez bien que je ne
suis pas tentée de l’envoyer au jardin à votre place.
Suzanne
Il est certain que je n’irai pas non plus. Voilà donc mon mariage encore une
fois…
La Comtesse se lève.
Attends… Au lieu d’un autre, ou de toi, si j’y allais moi-même !
Suzanne
Vous, madame ?
La Comtesse
Il n’y aurait personne d’exposé… Le Comte alors ne pourrait nier… Avoir puni
sa jalousie, et lui prouver son infidélité, cela serait… Allons : le bonheur
d’un premier hasard m’enhardit à tenter le second. Fais-lui savoir promptement
que tu te rendras au jardin. Mais surtout que personne…
Suzanne
Ah ! Figaro.
La Comtesse
Non, non. Il voudrait mettre ici du sien… Mon masque de velours et ma canne ;
que j’aille y rêver sur la terrasse. (Suzanne entre dans le cabinet de
toilette.)
Scène XXV
La Comtesse, seule,
Il est assez effronté, mon petit projet ! (Elle se retourne.) Ah ! le ruban ! mon
joli ruban ! je t’oubliais ! (Elle le prend sur sa bergère et le roule.) Tu ne me
quitteras plus… tu me rappelleras la scène où ce malheureux enfant… Ah !
monsieur le Comte, qu’avez-vous fait ? et moi, que fais-je en ce moment ?
Scène XXVI
La Comtesse, Suzanne. (La Comtesse met furtivement le ruban dans son sein.)
Suzanne
Voici la canne et votre loup.
La Comtesse
Souviens-toi que je t’ai défendu d’en dire un mot à Figaro.
Suzanne, avec joie
Madame, il est charmant votre projet ! je viens d’y réfléchir. Il rapproche tout,
termine tout, embrasse tout ; et, quelque chose qui arrive, mon mariage est
maintenant certain. (Elle baise la main de sa maîtresse. Elles sortent.)
Pendant l’entracte, des valets arrangent la salle d’audience : on apporte les
deux banquettes à dossier des avocats, que l’on place aux deux colis du théâtre,
de façon que le passage soit libre par-derrière. On pose une estrade à deux
marches dans le milieu du théâtre, vers le fond, sur laquelle on place le
fauteuil du Comte. On met la table du greffier et son tabouret de côté sur le
devant, et des sièges pour Brid’oison et d’autres juges, des deux côtés de
l’estrade du Comte.
Acte troisième
Le théâtre représente une salle du château appelée salle du trône et servant de
salle d’audience, ayant sur le côté une impériale en dais, et dessous, le
portrait du Roi.
Scène I
Le Comte, Pédrille, en veste et botté, tenant un paquet cacheté.
Le Comte, vite.
M’as-tu bien entendu ?
Pédrille
Excellence, oui. (Il sort.)
Scène II
Le Comte, seul, criant.
Pédrille !
Scène III
Le Comte, Pédrille revient.
Pédrille
Excellence ?
Le Comte
On ne t’a pas vu ?
Pédrille
Ame qui vive.
Le Comte