Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

FIGARO
Autre fou de la même espèce !
Le Comte, en colère, à Bazile.
Vos droits ! vos droits ! Il vous convient bien de parler devant moi, maître sot !
Antonio, frappant dans sa main.
Il ne l’a, ma foi, pas manqué du premier coup : c’est son nom.
Le Comte
Marceline, on suspendra tout jusqu’à l’examen de vos titres, qui se fera
publiquement dans la grande salle d’audience. Honnête Bazile, agent fidèle et
sûr, allez au bourg chercher les gens du siège.
Bazile
Pour son affaire ?
Le Comte
Et vous m’amènerez le paysan du billet.
Bazile
Est-ce que je le connais ?
Le Comte
Vous résistez ?
Bazile
Je ne suis pas entré au château pour en faire les commissions.
Le Comte
Quoi donc ?
Bazile
Homme à talent sur l’orgue du village, je montre le clavecin à madame, à chanter
à ses femmes, la mandoline aux pages ; et mon emploi surtout est d’amuser votre
compagnie avec ma guitare, quand il vous plaît me l’ordonner.
Gripe-Soleil s’avance.
J’irai bien, Monsigneu, si cela vous plaira.
Le Comte
Quel est ton nom et ton emploi ?
Gripe-Soleil
Je suis Gripe-Soleil, mon bon signeu ; le petit patouriau des chèvres, commandé
pour le feu d’artifice. C’est fête aujourd’hui dans le troupiau ; et je sais ous-
ce-qu’est toute l’enragée boutique à procès du pays.
Le Comte
Ton zèle me plaît ; vas-y : mais vous (à Bazile), accompagnez monsieur en jouant
de la guitare, et chantant pour amuser en chemin. Il est de ma compagnie.
Gripe-Soleil, joyeux.
Oh ! moi, je suis de la ?… (Suzanne l’apaise de la main, en lui montrant la
Comtesse.)
Bazile, surpris.
Que j’accompagne Gripe-Soleil en jouant ?…
Le Comte
C’est votre emploi. Partez ou je vous chasse. (Il sort.)
Scène XXIII
Les Acteurs précédents, excepté Le Comte.
Bazile, à lui-même.
Ah ! je n’irai pas lutter contre le pot de fer, moi qui ne suis…
Figaro
Qu’une cruche.
Bazile, à part.
Au lieu d’aider à leur mariage, je m’en vais assurer le mien avec Marceline. (À
Figaro.) Ne conclus rien, crois-moi, que je ne sois de retour. (Il va prendre la
guitare sur le fauteuil du fond.)
Figaro le suit.
Conclure ! oh ! va, ne crains rien, quand même tu ne reviendrais jamais… Tu n’as
pas l’air en train de chanter, veux-tu que je commence ?… Allons, gai, haut la-
mi-la pour ma fiancée. (Il se met en marche à reculons, danse en chantant la
séguedille suivante ; Bazile accompagne ; et tout le monde le suit.)
SEGUEDILLE : Air noté.
Je préfère à richesse
La sagesse
De ma Suzon,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon,
zon, zon, zon,
zon, zon, zon.
Aussi sa gentillesse
Est maîtresse
De ma raison,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon,
Zon, zon, zon.
(Le bruit s’éloigne, on n’entend pas le reste.)
Scène XXIV
Suzanne, La Comtesse.
La Comtesse, dans sa bergère.
Vous voyez, Suzanne, la jolie scène que votre étourdi m’a value avec son billet.
Suzanne
Ah ! madame, quand je suis rentrée du cabinet, si vous aviez vu votre visage ! Il
s’est terni tout à coup mais ce n’a été qu’un nuage ; et par degrés vous êtes
devenue rouge, rouge, rouge !
La Comtesse
Il a donc sauté par la fenêtre ?
Suzanne
Sans hésiter, le charmant enfant ! Léger… comme une abeille !
La Comtesse