Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/168

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Continuez à déraisonner, mais cessez d’injurier. Lorsque, craignant
l’emportement des plaideurs, les tribunaux ont toléré qu’on appelât des tiers,
ils n’ont pas entendu que ces défenseurs modérés deviendraient impunément des
insolents privilégiés. C’est dégrader le plus noble institut. (Les juges
continuent d’opiner bas.)
Antonio, à Marceline, montrant les juges.
Qu’ont-ils tant à balbucifier ?
Marceline
On a corrompu le grand juge ; il corrompt l’autre, et je perds mon procès.
Bartholo, bas, d’un ton sombre.
J’en ai peur.
Figaro, gaiement.
Courage, Marceline !
Double-Main se lève ; à Marceline.
Ah ! c’est trop fort ! je vous dénonce ; et, pour l’honneur du tribunal, je demande
qu’avant faire droit sur l’autre affaire, il soit prononcé sur celle-ci.
Le Comte s’assied.
Non, greffier, je ne prononcerai point sur mon injure personnelle ; un juge
espagnol n’aura point à rougir d’un excès digne au plus des tribunaux
asiatiques : c’est assez des autres abus ! J’en vais corriger un second, en vous
motivant mon arrêt : tout juge qui s’y refuse est un grand ennemi des lois. Que
peut requérir la demanderesse ? mariage à défaut de paiement : les deux ensemble
impliqueraient.
Double-Main
Silence, messieurs !
L’Huissier, glapissant.
Silence.
Le Comte
Que nous répond le défendeur ? qu’il veut garder sa personne ; à lui permis.
Figaro, avec joie.
J’ai gagné !
Le Comte
Mais comme le texte dit : "Laquelle somme je payerai à sa première réquisition,
ou bien j’épouserai, etc.", la cour condamne le défendeur à payer deux mille
piastres fortes à la demanderesse, ou bien à l’épouser dans le jour. (Il se
lève.)
Figaro, stupéfait.
J’ai perdu.
Antonio, avec joie.
Superbe arrêt !
Figaro
En quoi superbe ?
Antonio
En ce que tu n’es plus mon neveu. Grand merci, monseigneur.
L’Huissier, glapissant.
Passez, messieurs. (Le peuple sort.)
Antonio
Je m’en vas tout conter à ma nièce (Il sort.)
Scène XVI
Le Comte, allant de côté et d’autre ; Marceline, Bartholo, Figaro, Brid’oison.
Marceline, s’assied.
Ah ! je respire !
Figaro
Et moi, j’étouffe.
Le Comte, à part.
Au moins je suis vengé, cela soulage.
Figaro, à part.
Et ce Bazile qui devait s’opposer au mariage de Marceline, voyez comme il
revient ! — (Au Comte qui sort.) monseigneur, vous nous quittez ?
Le Comte
Tout est jugé.
Figaro, à Brid’oison.
C’est ce gros enflé de conseiller…
Brid’oison
Moi, gros-os enflé !
Figaro
Sans doute. Et je ne l’épouserai pas : je suis gentilhomme, une fois. (Le Comte
s’arrête.)
Bartholo
Vous l’épouserez.
Figaro
Sans l’aveu de mes nobles parents ?
Bartholo
Nommez-les, montrez-les.
Figaro
Qu’on me donne un peu de temps : je suis bien près de les revoir ; il y a quinze
ans que je les cherche.
Bartholo
Le fat ! c’est quelque enfant trouvé !
Figaro
Enfant perdu, docteur, ou plutôt enfant volé.
Le Comte revient.
Volé, perdu, la preuve ? Il crierait qu’on lui fait injure !
Figaro
Monseigneur, quand les langes à dentelles, tapis brodés et joyaux d’or trouvés
sur moi par les brigands n’indiqueraient pas ma haute naissance,